Procès des viols de Mazan : la victime devenue l’accusée.

Sud Ouest

« J’ai l’impression que la coupable c’est moi, et que derrière moi les cinquante sont des victimes » – Gisèle Pélicot

Que s’est-il passé ?

En septembre 2020, Dominique Pélicot, alors âgé de 67 ans, est surpris, par un agent de sécurité, entrain de filmer sous les jupes de plusieurs femmes, dans un supermarché à Carpentras, une commune voisine à Mazan, en France. Cet incident va interpeller la police qui décide, de ce fait, de creuser plus loin et de perquisitionner son domicile. De premier abord, leur but est de trouver des éléments en lien avec le voyeurisme mais c’est avec choc qu’ils vont découvrir dans son ordinateur, un dossier contenant des vidéos et des images relatant les abus consécutifs que Pélicot faisaient subir à son épouse Gisèle depuis 2011. En effet, ils apprendront plus tard que Dominique Pélicot recrutait des inconnus en ligne, via des forums et sites d’échanges. Puis, il les invitait à abuser sexuellement de sa femme tandis qu’elle était sous l’effet d’une drogue puissante qui la rendait totalement inconsciente. Il participait lui même, parfois, aux actes et les filmait pour garder, ce qui se rapprocherait à un trophée, de chacune des agressions, dans son ordinateur.

C’est, cette fois-ci, en septembre 2024 que débute le procès dans lequel Pélicot compare aux côtés de 51 autres accusés, devant la cour criminelle du Vaucluse. Un procès que Gisèle décide de rendre public, avec l’objectif d’exposer la gravité des violences qu’elle a subies et par la même occasion, de déclencher une réelle prise de conscience sur la réalité des violences sexuelles et du traitement des victimes. Elle affirme, ainsi, souhaiter que « la honte change de camp » pour que l’humiliation soit tournée vers les accusés et non les victimes.

RTL

Un procès dont l’ampleur est bien plus grande que ce qu’il n’y parait.

« Il n’y a pas « viol et viol ». Un viol est un viol » – Gisèle Pélicot

L’affaire Mazan a complétement chamboulé les esprits. Elle a engendré beaucoup de solidarité, d’émotion, de compassion comme elle a engendré pléthore d’indignation, de colère et de violence. Une violence qui reflète la rage des victimes comme Gisèle qui dénoncent la non-considération et la remise en question constante de leur parole ainsi que la minimisation de leur souffrance et plus globalement le sexisme banalisé dont les femmes sont victimes dans notre société.

On peut comprendre leurs revendications lorsque l’on s’intéresse de plus près aux dires de nombreux avocats de la défense, d’accusés et même de politiques durant le procès.

4 propos qui ont beaucoup fait parler :

  • « Ça aurait pu être plus grave, il n’y a pas eu d’enfant impliqué, pas de femme tuée. Ce sera difficile pour la famille mais ils pourront se reconstruire. Après tout, personne n’est mort ». Ces mots sont ceux de Louis Bonnet, le maire de Mazan, à une télévision anglaise. En effet, en voulant dédramatiser la situation, il choque les auditeurs en décrédibilisant complétement l’affaire comme si ce n’était pas « si grave » qu’une cinquantaine de Mazanais y compris Dominique Pélicot, le principal accusé et organisateur des crimes, soient impliqués dans les viols de Gisèle Pélicot. Comme si ce n’était pas « si traumatisant » de découvrir que son mari, avec qui elle avait partagé plus de 50 ans de vie commune, l’avait drogué et violé/faite violer dans le secret pendant 10 ans.
Louis Bonnet – Le Dauphiné
  • « Il y a viol et viol et, sans intention de le commettre, il n’y a pas viol ». Une déclaration de Guillaume De Palma, un avocat représentant plusieurs accusés. Ici, il nous propose visiblement sa surprenante nouvelle définition du viol qui prendrait en compte radicalement l’intention de l’agresseur de violer sa victime. Une affirmation qui supposerait que l’acte de violer n’est pas forcement conscient. Selon l’article 222-23 du Code Pénal le viol est définit comme toute acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. De plus, la loi prévoit également que le viol peut inclure la contrainte morale, l’intimidation, ou l’abus d’une situation de vulnérabilité de la victime. Par ailleurs, il y a bien la notion d’intention de commettre l’acte en sachant qu’il est illégal mais la volonté de l’agresseur est souvent établie par des faits et des circonstances plutôt que par une déclaration explicite. Or, en ce qu’il s’agit de l’affaire Pélicot, les agresseurs avaient tous connaissance de l’inconscience de Gisèle au moment des faits, ce qui veut dire qu’ils avaient, d’office, conscience de son incapacité à consentir ou non aux actes. Plus généralement, la question de volonté de violer est discutée lorsque les accusés affirment ne pas ou mal avoir compris le consentement ce qui est une raison très peu valorisée car n’importe quel accusé peut affirmer ne pas avoir eu l’intention de violer sans pour autant que cela soit vérifié. Donc, l’avocat a tenté de défendre ses clients par le biais de cette notion d’intention mais le problème réside dans cette radicalité de proclamer que le viol n’a d’emblée pas lieu lorsque l’on sait que c’est un prétexte biaisé.
  • « Je vais violer ta mère tu vas voir », « Je vais te niquer toi, je vais te suivre jusqu’à chez toi et tu vas voir ». Ces mots sont ceux d’accusés envers des femmes assistant au procès ainsi qu’à des journalistes. Faut-il des explications pour ces menaces sans motif ? Il est flagrant que les remords ne pèsent pas ces hommes et que leur agressivité témoigne de l’ancrage de leur inconsidération. Quel désespoir face à ces criminels qui ne veulent apprendre de leur erreur ou tout simplement comprendre que c’en est une.
France Bleu
  • « Je lui ai dit que c’est elle qui a souhaité que ce soit public ( les vidéos des viols ), et que maintenant il s’agissait pas de se plaindre ». Une avocate représentant plusieurs accusés également, Nadia El Bouroumi, s’exprime sur les réseaux sociaux après la colère de Gisèle Pélicot face à la diffusion de vidéos des viols où elle y apparait dénudée et réalisant, selon les dires de l’avocate elle-même, des positions sexuelles. Outre le fait que ce soit un réel manque de professionnalisme, elle affirme vouloir « démontrer l’argumentation de son client » avec ces vidéos et démanteler la question de la soumission chimique alors même que les experts déclaraient et confirmeront plus tard que ces vidéos s’expliquaient par le fait que les substances ingérées par Gisèle la plongeaient dans un état de semi-conscience ou d’inertie. La victime pouvait sembler coopérative mais cela ne reflétait en aucun cas une volonté consciente mais bien une réaction corporelle involontaire sous l’effet des sédatifs. Ces images extrêmement choquantes, donc, qui ont violé complétement l’intimité de la victime et dont le visionnage en public pourrait presque être qualifié de cruel ont indigné Gisèle. Elle rétorquera : « Ma vie intime est mise au grand jour aujourd’hui. Vous balayez ce que j’ai vécu d’un revers de la main, je trouve ça vraiment dérangeant ». Des paroles justifiées lorsque l’on décrédibilise à ce point sa parole quand bien même les preuves confirment systématiquement sa version.

En conclusion, ces propos mettent en lumière plusieurs enjeux cruciaux de l’affaire Pélicot. D’une part, les déclarations maladroites et le manque d’empathie de figures publiques comme Louis Bonnet illustrent la minimisation des traumatismes subis par la victime. D’autre part, la défense des accusés et de leurs avocats, notamment sur la prétendue absence d’intention de violer, qui révèle une tentative de détournement de la gravité des actes. Puis, l’indifférence totale et les menaces des accusés qui démontrent un réel mépris envers Mme Pélicot.

Finalement, ces réactions face au procès illustrent un problème bien plus profond de notre société. Un problème qui porte le nom de sexisme et qui donne naissance à une culture du viol écrasante ; une notion du consentement biaisée.

L’Indépendant

Les violences sexistes et sexuelles en France : quelques chiffres.

En 2023, on enregistre près de 84000 victimes de violences sexuelles, hors cadre familial, dont plus de la moitié étaient mineurs et la grande majorité des filles/femmes. Un chiffre qui a augmenté de 6% par rapport à l’année dernière.

Au sein du couple, c’est 87000 femmes qui ont été victimes de tels actes avec une augmentation de 13% par rapport à 2021.

Le nombre de féminicides s’élève à 95 en 2023 même si de nombreuses associations féministes contestent ces chiffres en soulignant que des enquêtes sont encore en cours et estiment le nombre de féminicides à au moins 134.

Statista

Malgré l’augmentation des signalements, seulement 6% des victimes portent plainte. Une décision qui se comprend lorsque l’on sait que :

  • 44% des auteurs d’agressions sexuelles majeurs sont condamnés à une peine d’emprisonnement ferme, généralement entre 1 et 2 ans.
  • 65% des victimes de féminicides avaient saisi les forces de l’ordre ou la justice.
  • 80% des plaintes pour violences au sein du couple sont classées sans suite.
  • 0,6% des viols sont condamnés.

Ces statistiques plus que déroutantes sont des signaux d’alarme qui nécessitent plus d’attention. On remarque bien que même si juridiquement hommes et femmes sont égaux, dans la société, au quotidien les inégalités de traitement sont conséquentes. Le vrai problème réside dans les normes sociétales et les représentations accrochées aux hommes et aux femmes. Des restes d’un vieux système patriarcale, pas si empoussiéré, qui continue à modeler une vision de la femme objectifiée. Une femme qui appartient à son mari et dont le consentement n’a pas de valeur à côté de celui de son époux. Une femme qui a forcément cherché à se faire insulter, frapper, violer que cela soit à cause de son franc parlé, de sa tenue ou de son sang plus ou moins alcoolisé. Une femme dont le cri n’est qu’un murmure dans cette société, dont le non est peut être finalement un oui.

Alors, c’est dans l’éducation que cela doit se jouer. Apprendre à nos enfants à s’aimer et se respecter plutôt que de se détester. Il faut, nous TOUS nous mobiliser, changer les mentalités pour que le monde de demain ne soit pas un monde d’hommes mais plutôt un monde d’humains et que les hommes et les femmes soient fiers de l’être.

Pour creuser sur le sujet (menu déroulant) :

https://www.cbc.ca/news/world/french-rape-trial-husband-1.7325358

https://www.lemonde.fr/en/france/article/2024/09/05/police-saved-my-life-by-uncovering-husband-s-abuse-says-wife-in-french-rape-trial_6724895_7.html

https://www.brut.media/fr

https://www.20minutes.fr/societe/4110938-20240919-proces-viols-mazan-pourquoi-gisele-pelicot-quelque-chose-emblematique

https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/publication-de-la-lettre-annuelle-de-lobservatoire-national-des-violences-faites-aux-femmes

https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Themes/Infractions/Violences-physiques-ou-sexuelles

https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-11/Infos_Rapides_Justice_n9_Violences%20sexuelles.pdf

https://www.noustoutes.org

Bienvenue sur Bref.

Inscrivez-vous pour recevoir chaque semaine du contenu génial dans votre boîte de réception.

N'oubliez pas de vérifier vos spams !

Nous ne spammons pas !

Laisser un commentaire