Bardella-Le Pen : L’heure du “grand remplacement” ?

L’élection présidentielle de 2027 arrive à grands pas et les appétits des différents prétendants poussent un certain nombre d’intéressés à se positionner sur la ligne de départ. Si les candidatures étaient encore floues sur les parties gauche et centrale de l’échiquier politique, la candidature de Marine Le Pen semblait évidente pour le Rassemblement national (RN) à l’extrême-droite. Toutefois, ce scénario est de plus en plus mis à mal par la menace d’inéligibilité planant au-dessus de la députée du Pas-de-Calais, par l’ambition de son jeune loup, Jordan Bardella, et par une potentielle démission du Président de la République obligeant une élection anticipée.

Marianne

Celle qui par trois fois s’est présentée comme candidate du FN, puis du RN, à la fonction suprême voit aujourd’hui son ambition être confrontée à des forces d’abord juridiques puis politiques menaçant sa possibilité d’incarner, pour une quatrième fois consécutive, le visage de l’extrême-droite en France. Alors que son parti était d’abord porté par un élan notable au moment des européennes, élections auxquelles il est parvenu sans surprise à être premier, et, ensuite, au moment de la campagne des législatives, le RN s’est heurté à un front républicain au 2e tour de celles-ci qui a considérablement limité la vague bleue marine annoncée par tous les instituts de sondage. Deux campagnes, une stratégie articulée autour d’une femme, Marine Le Pen, et d’un homme, l’eurodéputé Jordan Bardella, à la tête du parti depuis 2022. Le binôme Le Pen-Bardella a été un rouleau compresseur politique au cours de ces deux échéances-clés tant et si bien que la stratégie de leur parti se limita à leur seule et unique mise en avant. Nous avons tous en tête ces images de candidats RN aisément mis en difficulté en débats sur les plateaux télévisuels locaux, mais aussi ces centaines de circonscriptions où l’affiche du candidat ne montrait pas son visage, mais seulement ceux du binôme national. Leurs rôles sont connus de tous, et les citoyens le disent sur les marchés, “Marine, présidente ; Jordan, premier ministre”.

Pourtant, la situation n’est plus si simple que cela. Marine Le Pen a comparu entre le 30 septembre et le 27 novembre devant le tribunal judiciaire de Paris, aux côtés d’autres cadres du parti, tels que Julien Odoul ou Louis Aliot, dans le cadre de l’affaire dite des “assistants parlementaires du FN”. D’anciens eurodéputés FN, dont l’actuelle présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, sont accusés d’avoir fait travailler leurs assistants parlementaires au siège du FN pour le FN, plutôt qu’au Parlement européen pour leurs eurodéputés ; assistance d’élus pour laquelle ils sont payés par le contribuable européen. Le préjudice s’élèverait à près de 7,5 millions d’euros pour la période 2010-2016. A ce titre, le procureur de la République a requis contre la fille de Jean-Marie Le Pen, lui aussi inquiété, 300 000 € d’amende, 5 ans de prison dont 2 ans de prison ferme (mais aménageables), et surtout 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Cela signifie que si une telle sanction venait à être prononcée, Marine Le Pen perdrait immédiatement tous ses mandats et ne pourrait plus se présenter à aucune élection jusqu’en 2030 (le jugement sera délivré le 31 avril 2025) ; et ce même si elle fait appel de la décision (c’est la loi Sapin 2).

L’Humanité

Voilà donc celle que beaucoup voyaient déjà à l’Elysée être face à un obstacle de taille. La principale intéressée s’offusque, dénonce le “système” qui lui attribue “une peine de mort politique”. Si certains voient ces exclamations comme les battements d’un nageur en pleine noyade, ils sont en réalité bien plus stratégiques. Marine Le Pen a structuré sa stratégie électorale depuis une quinzaine d’années autour d’une théorie anti-système qui s’appuie sur une opposition entre une grande classe moyenne de travailleurs, dont elle se veut être le défenseur, et des exploitants du “système”, qu’ils soient riches (profiteraient du “système” pour s’enrichir) ou pauvres (les immigrés qui profiteraient des aides). Sa stratégie de défense médiatique s’inscrit donc dans la continuité logique de sa stratégie électorale. Dans la logique qu’elle veut faire passer, si celle qui défend les opprimés du “système” se fait censurer dans son action politique, c’est qu’il y a bien un “système” qui veut l’empêcher d’accéder au pouvoir. Elle se place non plus en coupable, mais en victime. Une stratégie qui a porté ses fruits outre-Atlantique dans la mesure où Donald Trump n’a pas cessé d’en faire usage au fil de ses procès. La victimisation du brave et valeureux personnage, défenseur des opprimés freiné par un système injuste lui a permis de redevenir locataire de la Maison Blanche à partir de janvier.

Sud Ouest

Étonnamment, elle dispose assez rapidement de soutiens plaidant pour que l’inéligibilité ne s’applique pas le temps d’un recours afin qu’elle puisse se présenter à l’élection présidentielle. Je dis étonnamment parce qu’il s’agit, entre autres, de Gérald Darmanin (Re) et de Jean-Luc Mélenchon (LFI). Ce premier y voit un intérêt dans sa stratégie interne. Il a besoin de se démarquer de Gabriel Attal et d’Edouard Philippe dans le bloc macroniste s’il veut pouvoir l’incarner aux prochaines élections présidentielles. Il est néanmoins vrai qu’une telle prise de position est intéressante compte tenu de sa virulence passée avec le RN. Pour Jean-Luc Mélenchon, il s’agit peut-être davantage d’une stratégie scénaristique, il rêve depuis longtemps de voir se jouer le grand duel Mélenchon-Le Pen au second tour d’une élection présidentielle. Entre une prise de position de pré-pré-pré-primaire et le rêve d’un scénario digne du Clash des Titans, Marine Le Pen est dans les faits isolée de la sphère politique. Outre les élus RN et ces quelques exceptions, les autres partis ne se prononcent pas sur les peines requises par le procureur et regrettent les prises de positions de l’ancien ministre de l’Intérieur, et de l’ancien Sénateur de l’Essonne…

La Voix du Nord

Toutefois, le jeu stratégique de Marine Le Pen ne fonctionne pas exactement comme elle l’avait prévu puisqu’elle a négligé une variable fondamentale de la stratégie de Trump : incarner le seul espoir. En plaçant Jordan Bardella à la tête du parti, en mettant en scène ce jeune homme de 29 ans au grand sourire, et en lui faisant endosser le rôle du “gendre idéal”, elle a mis sur les rails un autre candidat potentiel en cas d’incapacité pour elle de se présenter. Elle n’incarne pas le seul espoir d’autant plus que l’image lisse du président du parti dénoterait avec la sienne quand bien même sa peine ne s’accompagnerait pas d’une exécution provisoire. Son expérience passerait donc à la trappe au profit de son poulain ? Le résultat d’une étude du baromètre politique Odoxa réalisée le 20 novembre confirme cette tendance. Selon celle-ci, ce sont près de 59% des sympathisants RN qui le préféreraient à Marine Le Pen. Il y est même constaté que 74% de ces sympathisants ne voyaient pas sa condamnation comme un handicap dans la mesure où la moitié d’entre-eux la considère comme une opportunité stratégique en vue d’une candidature Bardella. 

L’Express

Si le président du parti jurait la main sur le cœur être un soutien inconditionnel à celle qui sera (selon lui) Présidente de la République, et dont le premier ministre sera (toujours selon lui) lui-même, le jeu des petites phrases fait retentir d’autres sons de cloches. La plus bruyante aura sûrement été celle du 18 novembre sur le plateau de BFMTV où il affirma qu’un candidat RN à une élection ne devrait “pas avoir de condamnation à son casier judiciaire”, avant de se rattraper sur le cas de Marine Le Pen en affirmant qu’elle est “innocente”.

L’importance actuelle du RN dans l’échiquier politique fait que de telles évolutions en son sein amènent l’ensemble de la classe politique à revoir sa stratégie pour le confronter dans les urnes. Si le tableau stratégique actuel donne une dynamique croissante à Jordan Bardella, le moment de la tenue de l’élection, les conséquences de la décision de justice, l’union ou non de la gauche et des écologistes, les modalités d’une telle union, le maintien ou l’effritement de l’unité du bloc macroniste et les positionnements des électrons libres sont tant de facteurs qui influeront sur les dynamiques politiques à venir.

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