« Je me fiche qu’ils aient volé mon idée… Je m’inquiète du fait qu’ils n’en aient pas eux-mêmes. »
Nikola Tesla
7 janvier 1943, Hôtel New Yorker, New York, Etat de New York, États-Unis.
Alice Monaghan, fidèle femme de ménage de l’établissement depuis des dizaines d’années, fait sa routine quotidienne de remise en état des chambres des visiteurs. En ce soir hivernal de janvier 1943, elle passe comme à son habitude devant la chambre 3327, celle d’un client qu’elle connaît bien, puisqu’il s’agit d’un résident du New Yorker depuis 9 ans. Bien que la porte, verrouillée à double tours, affichait l’étiquette « Ne pas déranger » depuis deux jours à ce moment-là, Alice décida de faire exception à la règle et déverrouilla la chambre. C’est en franchissant le pas de la porte qu’elle fit face à une scène malheureuse : une masse inerte, au cœur d’une chambre désordonnée. La forme suppose un corps avec lequel la vie aurait rompu depuis plusieurs heures, et celui-ci se révèle être le dernier souvenir d’un homme, ou plutôt d’un génie, oublié par l’histoire.
Mais de qui parle-t-on ?
Nikola Tesla. Un nom qui vous dit peut-être quelque chose, ou même peut-être rien du tout. De nos jours, on associe ce nom, « Tesla », à l’entreprise bien connue d’Elon Musk, qui commercialise des voitures électriques. Mais quelle est l’origine de cette appellation ? Pourquoi les fondateurs de cette ancienne startup, Martin Eberhard et Marc Tarpenning, ont-ils donné à leur enfant prodige, le nom de « Tesla » ?
Ingénieur électricien, mécanicien, scientifique, génie inventeur et physicien à qui l’on décompte à son nom plus de 300 brevets (outre ceux qu’il n’a pas demandé, ou qu’on lui a volé), Nikola Tesla est à l’origine de nombreuses inventions majeures et indispensables pour l’humanité. Né le 10 juillet 1856 à Smiljan en Croatie d’une mère peu éduquée et d’un prêtre orthodoxe, le futur inventeur se montre dès le plus jeune âge enfant prodige. Sa mère, bien qu’analphabète, est dotée d’une intelligence hors normes, et de capacités psychiques d’imagination et de mémoire remarquables. Héritant de ses traits, le jeune Nikola fait preuve de grands accomplissements. Surdoué en mathématiques, polyglotte de 8 langues, inventif et très intelligent, le jeune homme porte un intérêt important pour la physique.
En 1873, Tesla contracte le choléra, et manque d’y perdre la vie. Lors de sa maladie, son père lui promet de l’inscrire en école d’ingénieur dans le cas où il survivrait. C’est ainsi en 1875, que le futur scientifique intègre l’école polytechnique de Graz en Autriche, au cœur d’études d’ingénierie électrique. Alors que tout allait bien pour lui, excellant dans son domaine d’études, il s’engouffre dans une forte addiction de jeux d’argent, qui finit par le ruiner, et le conduire à quitter Graz.
Seulement, ces études ne furent pas pour lui vaines. A travers plusieurs articles écrits pour le magazine Electrical Experimenter en 1919, Nikola Tesla fait son autobiographie, et confie que son professeur, M. Poeschl, est celui qui l’a particulièrement motivé à faire de grandes choses : « M. Tesla peut accomplir de grandes choses, mais il ne le fera certainement jamais. »
Ambitieux et déterminé à contredire son professeur, le jeune scientifique se base sur des travaux qu’il a réalisé sur la dynamo de Gramme, un générateur électrique générant du courant en continu, afin de relever les points forts du courant dit « alternatif ». Seulement, c’est cette piste de recherche sur le courant « alternatif », qui inhibera une controverse majeure dans l’histoire de l’électricité et de la science.
La « guerre » des courants
A 26 ans, Tesla travaille pour Charles Batchelor, proche associé d’un certain Edison et gérant de la section parisienne de son entreprise. Impressionné par le génie et la productivité de son nouvel employé, Batchelor le recommande à Edison lui-même : « Je connais deux grands hommes, l’un est vous (Edison) et l’autre est ce jeune homme (Tesla) ». En 1884, Nikola Tesla émigre aux Etats-Unis, et rencontre pour la première fois l’inventeur de la lampe à incandescence. Une relation amicale s’établit entre les deux scientifiques, Thomas Edison décrit même le jeune passionné d’électricité comme « l’un des plus grands génies électriques que le monde ait jamais connu ».

Néanmoins, c’est sur un désaccord que leur rivalité débute. A la fin des années 1880, Nikola Tesla contredit Edison sur la manière dont l’électricité doit être transportée à travers la ville. A l’inverse du courant continu (DC, Direct Current), le courant alternatif (AC, Alternative Current) (oui le nom de AC/DC vient de là) consiste à la variation du sens du courant au travers de cycles, par rotation de l’alternateur, et permet l’utilisation électrique de nos jours. D’après Edison, la mise en place d’un tel courant représenterait un coût considérable, et nécessiterait des connaissances accrues en physique et en mathématiques. En manque de ces moyens, Edison voit en son nouvel employé un homme capable de le concurrencer, et fait tout son possible pour l’écarter de la piste. Il lui demande d’abord de se consacrer à l’amélioration de ses dynamos en échange de 50 000 dollars, une mission que Tesla prend plus qu’à cœur : il travaille de jour et de nuit, pour proposer à son associé un travail irréprochable. Mais une fois sa tâche remplie, Edison lui annonce la vérité : il ne le paiera pas pour cela, en qualifiant sa demande initiale de « plaisanterie ». Tesla quitte immédiatement le laboratoire, pour fonder la Tesla Electric Light Company. La guerre était déclarée.
On parle de vraie « guerre » dans le cadre de ce conflit scientifique, avec l’emploi de tous les moyens pour couler l’adversaire. Edison va même jusque financer la chaise électrique, et l’exécution d’animaux pour « dénoncer » les dangers du courant alternatif.
En 1888, Tesla traverse des difficultés financières, au point vendre ses brevets à la Westinghouse Electric Company, entreprise prenant le parti du courant alternatif. L’invention de moteur fonctionnant au courant alternatif intéresse particulièrement Westinghouse et se révèle être la pièce manquante pour compléter ses travaux. Nouveaux associés, les deux scientifiques finissent par remporter la « victoire » du courant alternatif en produisant l’électricité nécessaire à la première Exposition Universelle de Chicago grâce à leur innovation, et par l’établissement d’une centrale hydroélectrique aux chutes du Niagara.

Un homme au bon coeur.
En 1896, bien que grands gagnants de la « guerre des courants » face au businessman Edison, la Westinghouse Electric Company fait face à d’importantes difficultés économiques. Pour sauver l’entreprise, Westinghouse demande à Tesla s’il accepterait de renoncer à ses royalties (redevances, paiements dus pour ses travaux), qui s’élevaient à un total de 12 millions de dollars de l’époque (estimé à près de 300 millions de dollars aujourd’hui). Pour le scientifique, le choix fut évident : en renonçant à l’argent, il refusa la richesse et au statut de premier millionnaire de l’histoire, mais permit à la Westinghouse Electric Company, qui avait cru en lui et ses brevets, de prospérer. Tesla avait plus de foi dans les avancées technologiques et scientifiques qu’à son bonheur personnel. Mais l’histoire ne lui a malheureusement pas rendu sa bonne action.
« N’espérez pas recevoir ce que vous donnez, tout le monde n’a pas un cœur comme vous. »
Nikola Tesla
Un monde sans Tesla serait-il possible ?
Lorsque vous allumez la lumière, mettez des aliments au réfrigérateur, ou quand vous rechargez votre téléphone, vous devriez remercier Tesla. En effet, on associe souvent l’électricité à Edison, qui, reconnu comme pionnier principal dans cette matière, a su écrire l’histoire dans son sens. Sans Nikola Tesla, George Westinghouse et le courant alternatif, l’usage de l’électricité comme nous le faisons aujourd’hui ne serait pas envisageable.
Suite à sa rupture de contrat avec la Westinghouse Electric Company, le « sorcier » de l’électricité se retrouve avec environ 216 000 dollars (6 millions de dollars aujourd’hui), donnés par son ex-associé, en plus de la liberté d’usage de ses brevets. Il crée alors divers laboratoires à travers New York, et débute sa période d’inventions les plus folles.
En plus d’être l’inventeur du courant alternatif, Nikola Tesla est à l’origine de la radio. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas de l’italien Guglielmo Marconi, mais bel et bien de Tesla. Dans les années 1890, il conduit des expériences de transmissions sans fil, qui élaborent les prémices de la radio que nous connaissons. En 1904, Marconi utilise les brevets de Tesla et reçoit la propriété sur l’invention de la radio, ainsi qu’un prix Nobel en Physique. Bien que Tesla réussisse de son vivant, à récupérer par la justice la reconnaissance de ses brevets comme fondamentaux dans cette innovation, c’est 5 mois après son décès en 1943 qu’on lui attribue finalement officiellement l’invention de la radio.
Mais Tesla n’a pas inventé que la radio, et pour preuve, on lui attribue plus de 300 brevets à la fin de sa vie. En 1901, Wilhelm Röntgen obtient le prix Nobel de physique, pour la découverte des « Röntgen rays », ou x-rays, démontrés par une radio de la main de sa femme. Néanmoins, Tesla avait réalisé une radio de sa propre main en 1892 à l’aide de radiations émises par courant alternatif. Soit 3 ans avant les recherches de Röntgen, l’ingénieur serbo-croate avait découvert les rayons X, mais n’a pas pu conduire ses expériences jusqu’au bout, à cause d’un incendie dans son laboratoire. Le prix Nobel lui échappe, ainsi que la reconnaissance pour la découverte de ce qu’il appelait les « special rays ».
Tesla est l’inventeur du premier émetteur d’ondes amorties en 1896, la « bobine Tesla », fonctionnant une nouvelle fois au courant alternatif. Un outil qui lui permettra de réaliser le premier objet télécommandé en 1898, une maquette de navire, commandé sans fil avec une télécommande. Oui, vous avez bien lu, il invente le premier jouet télécommandé.
En 1901, le scientifique serbo-croate débute son projet le plus fou : la tour Wardenclyffe. Cette tour de 57 mètres, avait pour objectif de faire communiquer le monde entier par le biais d’ondes, et de créer un téléphone sans fil. Tesla était déterminé à atteindre le stade de reconnaissance totale pour ses inventions. Seulement, bien qu’avec 150 000 dollars d’investissement (environ 5,2 millions de dollars aujourd’hui), la tour de Wardenclyffe se révèle être un échec cuisant pour le scientifique, car cette dernière… ne fonctionne pas. Le bébé de Tesla se voit être racheté, et réduit en un tas de ferraille en 1917.
Mais sa volonté de faire communiquer le monde sans-fil ne s’éteint pas. En 1926, il accorde même une interview au journaliste John B. Kennedy, où il semble prédire l’invention du smartphone :
« Lorsque la téléphonie sans fil sera parfaitement appliquée, toute la terre sera transformée en un énorme cerveau, ce qui en fait est déjà le cas, et toutes les choses seront comme les particules d’un ensemble réel et rythmé. Nous serons en mesure de communiquer avec quelqu’un de manière instantanée, indépendamment de la distance. Et pas seulement, à travers la télévision et la téléphonie, nous pourrons nous voir et nous entendre aussi parfaitement que si nous étions face à face, même si des milliers de kilomètres nous sépareraient. D’ailleurs, les instruments qui nous permettront de le faire seront incroyablement simples, en comparaison au téléphone que nous utilisons aujourd’hui. Un homme sera en mesure de les garder dans la poche de sa veste. »
Nikola Tesla
Ces inventions font certes partie de ses plus importantes, mais chacune de ses conceptions était un progrès important pour la science. Leur nombre est si élevé qu’il est impossible de toutes les lister.
Conclusion
Ainsi, Nikola Tesla est une réelle ampoule flamboyante dans l’histoire de la science, qui au cours de sa vie s’est passionné pour le progrès scientifique. A l’inverse de Edison ou de Marconi, le mauvais sens des affaires de Tesla lui fit défaut, au point que la plupart de ses succès ne sont pas connus du grand public de notre époque. La tour de Wardenclyffe donna un coup de massue à l’ingénieur, et se révèle comme la dernière étape d’une existence sans la reconnaissance qu’il méritait. Atteint de troubles obsessionnels compulsifs, il confie lors de cette dernière période de sa vie son intérêt hors du commun pour les pigeons, et témoigne d’une dépression accrue. Sur la fin de sa vie, Tesla annonce travailler sur une nouvelle invention qui « empêcherait toutes les guerres », le « death ray » (« rayon mortel »). Il décède finalement le 7 janvier 1943 à 86 ans, avant de finir son invention, seul, sans-le-sou, et endetté dans sa chambre du New Yorker payée par son vieil ami George Westinghouse. Ses plans et ses derniers projets furent confisqués par le FBI, et l’histoire d’un homme qui a pourtant fait de si grandes choses, tombe dans l’oubli.
Pour aller plus loin (menu déroulant)
- « Pourquoi Nikola Tesla est si célèbre et Westinghouse ne l’est pas. » Kathy Loves Physics, kathylovesphysics.com.
- « Les Inventions de Nikola Tesla. » Tesla Science Center at Wardenclyffe, teslasciencecenter.org.
- « En 1897, Nikola Tesla a déchiré un contrat qui aurait fait de lui le premier millionaire du monde. » Celebrity Net Worth, celebritynetworth.com.
- « Le Contrat. » American Experience, PBS, pbs.org.
- « Nikola Tesla : Le Génie Qui a Éclairé le Monde. » YouTube, publié par Newsthink, youtube.com.
- « Nikola Tesla et la Découverte des Rayons X. » Tesla Universe, teslauniverse.com.
- « La Disparition Mystérieuse des Dossiers de Nikola Tesla Après Sa Mort. » Besettled, besettled.org.
- « Les Années de Collège. » Tesla Science Center at Wardenclyffe, teslasciencecenter.org.
- « Nikola Tesla. » IEEE Transmitter, transmitter.ieee.org.
- « Nikola Tesla contre Thomas Edison : La Guerre des Courants. » Les Echos, lesechos.fr.
- « Sur la Trace du Laboratoire Secret de Nikola Tesla au Québec. » ICI Radio-Canada, ici.radio-canada.ca.
- « Nikola Tesla : Biographie et Inventions Majeures. » Science Post, sciencepost.fr.
- « Biographie. » Tesla Society, teslasociety.com.
- « La Véritable Histoire Derrière la ‘Guerre des Courants’. » TIME, time.com.
- « Qu’est-ce Que la Guerre des Courants? » HISTORY, history.com.
- « Nikola Tesla. » Connaissance des Énergies, connaissancedesenergies.org.
- « Nikola Tesla et la Médecine : 160e Anniversaire de la Naissance du Génie Qui a Éclairé le Monde – Partie I. » ResearchGate, researchgate.net.
- « Nikola Tesla a Prédit le Smartphone. » Trust My Science, trustmyscience.com.
- « 1898 : Premier Robot de Tesla. » Atelier Canope 95, atelier-canope-95.canoprof.fr.
- « Nikola Tesla (Partie 2). » Techno-Science, techno-science.net.
- « Qu’est-ce Que la Tour d’Énergie Libre de Tesla ? » Sympa, sympa-sympa.com.
- « Nikola Tesla et la Tour Qui Devint une Folie de Million de Dollars. » Smithsonian Magazine, smithsonianmag.com.
- « Le Monde Brillant et Torturé de Nikola Tesla. » AAAS, aaas.org.