Souvent retenue uniquement pour sa période de mannequin pour Vogue et de Muse de Man Ray dans les années 1920, la récente sortie du biopic sur Lee Miller permet de faire découvrir la vie complexe de l’ex-modèle, notamment à travers son rôle de reporter durant la Seconde Guerre mondiale.
Après neuf ans de tournage, le film d’Ellen Kuras, avec comme actrice principale Kate Winslet, a fait sa sortie au cinéma le 9 octobre 2024 en France. L’interprète de la protagoniste a soutenu au cours de diverses interviews que ce film était pour elle l’une des plus grandes réalisations de sa vie, lui permettant de redonner vie et de raconter une autre facette de l’histoire de Lee Miller, tout en redéfinissant la « féminité actuelle » déjà incarnée par Miller au milieu du XXème siècle. Ainsi, le film met en avant le combat mené par une femme forte et indépendante sur le fond de la Seconde Guerre mondiale et des horreurs de la guerre.
«Kate Winslet fait merveille dans ce rôle d’une féministe qui a su lutter contre la volonté des hommes pour accomplir sa destinée » – Le Parisien
Lee Miller dans la guerre
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, Lee Miller vit à Paris, aux côtés de différentes personnalités issues du mouvement surréaliste, tels que Pablo Picasso, Nusch et Paul Eluard ou encore Man Ray et Roland Penrose. Passionnée par la photographie, la jeune femme emménage ensuite à Londres, où elle commence à travailler pour le British Vogue, dirigé par Audrey Withers, en 1940. Mais son rôle de photographe de mode ne lui suffit pas. Lee Miller a besoin de plus ; elle veut marquer son temps, laisser une trace et aider les autres. Elle utilise ainsi son métier pour jouer un rôle dans la guerre qui sévit. Sa demande de prendre part au conflit se voit cependant au départ refusée, en raison de son sexe, mais elle n’abandonne pas, et persiste pour vaincre les obstacles qui se dressent devant elle. Elle obtient finalement une accréditation en tant que correspondante de l’armée américaine. Lee Miller n’est alors plus une simple photographe, elle devient reporter de guerre pour le British Vogue. Accompagnée de David Scherman, correspondant du magazine Life, elle part pour l’Europe.
Au cours de son périple, Lee Miller ne se donne qu’un but : rendre compte de la réalité de la guerre et de l’histoire des victimes. Envoyée à Saint-Malo en France en 1944, elle est témoin du débarquement. Elle se retrouve au milieu du conflit, des bombardements mais s’obstine dans son rôle de journaliste. Miller et Scherman assistent également à la libération de Paris, et voyagent en Autriche, en Hongrie en Roumanie, au Pays-Bas ou encore en Allemagne, où ils vivent la guerre aux côtés des soldats. Ce sont des milliers de photographies qui seront prises par la reporter, dévoilant parfois la vie quotidienne des soldats, mais aussi souvent des images chocs, exposant la vérité de la guerre perçue sous l’angle de Lee Miller. L’importance que place la correspondante dans la transmission d’une vérité à travers ses clichés peut également se ressentir a posteriori, grâce à d’autres reporters, notamment avec le magazine Paris Match et son slogan « Le poids des mots, le choc des photos » entre 1978 et 2008, insistant sur l’impact émotionnel transmis par les journalistes.
Ainsi, Lee Miller photographie des femmes tondues, considérées comme collaboratrices lors de la fin de l’occupation ; l’humiliation peut se lire sur leurs visages, et la journaliste raconte leur histoire à travers une simple image. Mais ce qui sera le plus frappant pour elle, restera la visite des camps de concentration à leur libération, comme celui de Dachau. Là-haut, les visages des victimes traumatisées et apeurées, seront durs à affronter. Les cadavres entassés, retrouvés par Scherman et Miller, sont des traces de l’horreur qui a eu lieu en cet endroit, et les survivants que rencontrent les reporters ont subi toutes sortes de violences et d’abus, et leurs comportements réticents rappellent et témoignent de la terreur constante dans laquelle ils vivaient.
Un travail engagé
Un ensemble de photographies de cette expérience traumatisante mèneront à l’article « BELIEVE IT » (« Croyez-le »). Cependant, ce dernier ne sera jamais publié par le British Vogue en raison de la volonté de ne pas braquer la population encore traumatisée par la guerre encore récente. Cette décision sera pour Lee Miller inacceptable. Elle refuse que l’on oublie et mette de côté la vérité ; cette dernière doit être entendue et connue, et ne peut pas tomber dans l’oubli. Pour elle, la réalité et l’histoire de chacune des personnes et victimes qu’elle a rencontrées sur sa route méritent d’être racontées. L’article finira par être publié par la version américaine du magazine en juin 1945.
Le 30 avril 1945, date du suicide d’Adolf Hitler, Miller et Scherman se retrouvent dans l’appartement du dictateur à Munich, après leur visite des camps. Là-haut, une célèbre photo sera prise par l’acolyte de Miller. La jeune femme, qui préférait être derrière la caméra, se retrouve alors devant celle-ci. Cela faisait plusieurs semaines qu’ils n’avaient pas pu se laver. Les deux reporters installent alors un décor symbolique dans la salle de bain : Lee Miller, en train de se décrasser de la poussière récupérée dans les camps, dans la baignoire d’Hitler, un portrait de ce dernier posé derrière la reporter, et les bottes de la journaliste, préalablement essuyées sur le tapis de bain et le recouvrant de la boue ramenée des camps de concentration. Cette mise en scène permet à la jeune femme de communiquer sa haine et d’affirmer le peu de respect et d’importance qu’elle accorde au dictateur, même sentiments dont Hitler lui-même témoignait envers les Juifs. Elle parvient donc mettre en avant ses idéaux et ses valeurs à travers son travail.
L’après-guerre
La guerre aura complètement bouleversé la vie de Lee Miller. Elle n’acceptera jamais que de nombreuses personnes auront préféré pendant longtemps ignorer les faits, comme lors la publication non immédiate de ses photos des camps. Après son retour à Londres, Miller épousera Roland Penrose et tombera enceinte. Ils partiront ensuite s’installer à la campagne, où la reporter tombera dans la dépression et l’alcool.
Les clichés réalisés pendant son voyage seront enfermés dans des boites et mis de côté ; elle n’évoquera jamais son expérience dans la guerre, ni avec son mari ni avec son fils Antony Penrose. Elle qui se battait pour faire connaitre la vérité essayera alors d’oublier ce dont elle a été témoin, les traumatismes et les ravages de la guerre, trop difficiles à surmonter. Son travail sera redécouvert par son fils après sa mort, puis partagé au monde : il fondera ainsi les Archives Lee Miller.
Conclusion
Le film d’Ellen Kuras permet de faire découvrir au monde un nouvel aspect de la vie de Lee Miller. Il est en effet important de comprendre que cette dernière ne se résume pas à sa carrière de mannequin ou de reporter de guerre : elle se comprend par les actions entreprises par la femme tout au long de sa vie. Féministe engagée, elle n’hésite pas à se battre pour devenir journaliste de guerre, rôle peu accordé aux femmes, ni à laisser les hommes dicter sa vie ou diriger ses activités. Miller s’est battue contre toutes les injustices, qu’elle voulait dénoncer à travers son travail pendant la guerre. Elle ose, adopte courage, détermination et passion, et n’a pas peur des conséquences : elle veut se faire entendre et faire entendre les victimes, afin d’impacter la société. La guerre la marquera à vie, et restera un évènement qu’elle ne parviendra jamais à surmonter entièrement ; son impressionnant travail quant à lui permettra de rappeler des aspects majeurs de la Seconde Guerre mondiale, à ne pas oublier.
« Il ne s’agit pas d’un biopic, mais du portrait sensible d’une femme anticonformiste, portée par le goût du risque et le sens de l’engagement. » – Le Point
Bande annonce du film sur Youtube :
Trés beau portrait de femme Jean Ferrat avait raison » la femme est l’avenir de l’homme »
Bravo Garance