The dark knight, autrement dit, Le Chevalier noir, est le plus gros succès de l’année 2008 : 8 nominations aux Oscars dont deux récompenses (l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle à titre posthume pour Heath Ledger et celui du meilleur montage de son pour Richard King), il a rapporté plus d’un milliard de dollars dans le monde entier faisant de lui l’un des films les plus rentables de tous les temps. C’est d’ailleurs Warner Bros qui révèle ces chiffres en février 2009, faisant de The dark knight le 4e film de l’histoire à réaliser ce chiffre record d’exploitation.
Le réalisateur : Christopher Nolan
Né le 30 juillet 1970 à Westminster, Christopher Nolan est réalisateur, scénariste, producteur et monteur britannico-américain. Il est connu pour Interstellar (2014), Inception (2010), la trilogie Dark Knight (2005-2012) et plus récemment, Oppenheimer (2023). Ses films ont rapporté plus de 600 milliards de dollars dans le monde. Il est même nommé à l’ordre de l’Empire britannique par la reine Elisabeth II pour ses services rendus aux arts cinématographiques.
The Dark Knight est un film ayant connu un succès majeur par son originalité : Batman, le héros, ne mène pas la danse seul. C’est ainsi que le Joker s’impose à nouveau comme anti héros après ses précédentes apparitions cinématographiques, notamment dans Batman de Tim Burton où Jack Nicholson y interprète le rôle. Un personnage qui intéressait et qui intéressera encore plus le public. Aussi, le succès, à plus ou moins juste titre, d’œuvres où il fait son apparition comme dans la série Gotham (2014), et les films Suicide Squad (2016), Joker (2019), Joker : Folie à deux (courant 2024) sont le fruit certain du regain de popularité du personnage aux yeux du grand public.
Résumé du film en une phrase :
Bruce Wayne, ou plutôt Batman, doit affronter un criminel psychotique, le Joker. Il crée le chaos dans la ville de Gotham en semant la terreur et en défiant Batman.
Avertissement : Cet article est avant tout une analyse, j’ai donc dû utiliser des moments phares du film afin d’illustrer mes propos. Ne pas avoir vu le film ne pose aucun problème à la compréhension, mais des spoils seront présents.
1) Le Joker
Le Joker, une représentation du Mal ? de notre société ? ou de nous-mêmes ?
- Pourquoi le “Joker” ?
Tout d’abord, ce mot a pour étymologie “plaisanter” provenant de l’anglais “joke”. Un joker est souvent représenté tel un personnage comique ou un bouffon. Il est connu dans les jeux de cartes, ayant fréquemment l’utilité de basculer le jeu, changer les règles. Ainsi, dans le film, le Joker apparaît comme celui qui détruit les normes éthiques de la société, un plaisantin qui s’amuse à torturer Batman avec notamment la mort de son amour, Rachel.
- Un antihéros
Considéré comme un personnage immoral de part ses meurtres et sa psychologie perçue comme instable, il est évidemment marginalisé de la société. Certes il tue, mais il faut encore se poser la question de pourquoi et qui tue-t-il ? Cette attitude inattendue, nonchalante, folle, différente des normes sociétales fait de lui un fou. Un fou qui doit être arrêté et suivi psychologiquement. Le Joker est censé être ce marginal, qui terrifie et dégoûte le public : le génie de Christopher Nolan est d’en faire finalement un antihéros qui surpasse le héros.
- Un justicier ?
Le Joker tue, mais tue-t-il par nécessité ? Par bonne attention ?
Durant le film, il exécute en effet de nombreuses personnes : des fonctionnaires corrompus, des chefs de la pègre, mais aussi des innocents. Il déjoue les plans de la mafia en brûlant notamment l’argent à la base volé pour eux. Brûler cet argent est révélateur d’une nouvelle facette du Joker : un personnage sans quête de richesse à la différence des Hommes, qui se joue des codes sociaux.
Le Joker nous pousse à nous poser la question : est-ce réellement immoral de tuer des hors-la-loi ? des criminels ? Dans la loi, les crimes constituent la catégorie des infractions les plus graves, qui manifestent une violation extrême des interdits fondamentaux de la société. On peut effectivement considérer, et à juste titre, que le Joker commet des actes criminels, et pas qu’une fois ! Cependant, Batman et le Joker tuent tous les deux des criminels. Le paradoxe certain entre eux est que le Joker tue, il tue sans remords. Batman est quant à lui un homme de principes, il tue pour sauver, tout l’inverse de son ennemi. Ainsi, l’objectif principal du Joker est de lui montrer l’inutilité des règles, des normes, de tous ces principes… tout ce qui rend le monde stable finalement !
“Tu vois je ne suis pas un monstre, je n’ai fait que prendre les devants” : il se définit ainsi comme celui qui prévient du chaos, de la réelle facette des humains : nous sommes tous mauvais au fond de nous. Nous sommes tous comme lui. Nous sommes un Joker. Voilà sa pensée.
- Un anarchiste ?
“Some men just want to watch the world burn.” (« Certains hommes veulent juste voir le monde brûler. »)
Un anarchiste se traduit par une « absence de principe », « absence de chef », « absence d’autorité » ou « absence de gouvernement ». Dans un sens négatif, l’anarchie évoque le chaos et le désordre, l’anomie. Et dans un sens positif, un système où les individus sont dégagés de toute autorité.
Ainsi, comme dans un jeu de carte, son but est de changer les règles, les normes établies : “On entrouvre la porte à l’anarchie, on bouscule l’ordre établi et très vite le chaos le plus total règne. Et moi j’annonce le chaos.” C’est un personnage qui, vous l’avez compris, ne vit sans aucun chef de file, tout le contraire de la police qui souhaiterait “déjouer ses plans”. Il en rit ; il insiste sur le fait que si tout se déroule comme prévu, personne ne s’inquiète. Si le Joker annonce l’explosion d’un hôpital à 18h, et qu’il se déroule tel quel : tout est normal, c’était le plan ! Il joue de ce besoin fondamental pour les citoyens, la police ou encore Batman d’avoir le contrôle sur le passé, le présent et l’avenir. Selon le Joker, ce besoin obsessionnel est ridicule, absurde car c’est tout simplement impossible d’avoir main sur tout ce qui bouge : le Joker en est la parfaite représentation car ils ne sont pas capables de l’arrêter. En bref, ce serait un peu la représentation du : “Je t’avais prévenu ! Attrape-moi si tu le peux. Attrape-moi si tu oses oublier tes principes, tes plans, ton envie d’être le « gentil héros ». Je te défis d’essayer de me tuer. Mais tu ne pourras pas rester ce Chevalier noir que tu prétens être.” Car oui, détail surprenant mais en fait logique : Batman n’a jamais eu le cran de tuer le Joker alors qu’il a eu de multiples occasions pour le faire.
- Le Joker est-il donc un monstre ?
“Nul n’est méchant volontairement” énonçait Socrate. En fait, il souhaite montrer par ces quelques mots innocents qu’on ne peut vouloir que le bien, même si l’on se trompe de définition… Si l’on continue dans ce sens, le Joker n’aurait pas une vraie connaissance du bien, sinon il regretterait. De plus, ayant toutes les caractéristiques d’un anarchiste, comment peut-il vouloir le bien ? Ce serait une opposition même à ses valeurs, mais des valeurs qui selon nous, sont immorales. Ce terme “bien” est donc divergent selon les points de vue de chacun. Le Joker se moque bien d’avoir cette étiquette de monstre, son but est justement de nous faire réagir, et il a réussi : “Le Joker a gagné” est bien l’une des dernières phrases du film.
Il est donc difficile de déterminer un statut au Joker : il commet des actes répréhensibles par la loi, il vit sans règle, il cherche le chaos… Néanmoins, vous avez bien compris que ce n’est pas un “méchant” comme les autres comparable à ceux de Marvel, c’est avant tout un antihéros subtil qui souhaite montrer que toutes les règles et les normes de la société de Gotham ne servent à rien : les criminels sont toujours en liberté, la pègre garde son influence, et ce malgré les actions de Batman et de la police. Le Joker a eu plus d’efficacité en quelques semaines comparé à eux en des décennies : il a déjoué les plans de la pègre et a arrêté des criminels en étant seul. Mais il l’a fait sans procédures policières, sans suivre les valeurs de la justice et sans remords. Voilà pourquoi il est difficile de cerner et de qualifier le personnage du Joker.
2) Le chevalier noir, Batman
Le chevalier noir, autrement dit Batman, est-il le véritable héros ? le sauveur ? ou plutôt la représentation “plus” humaine du Joker ?
- Un personnage “fatigué”
En effet, Batman n’apparaît plus comme le héros indestructible ou du moins comme le “super héros” dans ce film. Il ne donne plus l’image du justicier, notamment dans la scène de l’ultimatum donné par le Joker où il lui laisse le choix entre sauver Harvey Dent, le Chevalier Blanc de Gotham, ou son amour Rachel. Il lui donne deux adresses pour chaque personne. L’une incarne la justice et un avenir prometteur pour le peuple, l’autre ses sentiments, sa sensibilité. Effectivement sa sensibilité, puisqu’il se rend sans hésiter vers Rachel. Mais le Joker ne serait pas le Joker sans tour de passe passe : il échange les adresses, sachant que Batman choisirait l’amour et non la raison. Conclusion tragique : Rachel meurt, et Harvey survit mais avec une moitié de visage brûlée. Cette scène est primordiale. Cela prouve au peuple, à la police et au Joker que Batman n’est pas intouchable, qu’il n’agit pas forcément pour le bien de Gotham. On découvre ainsi les limites de ce qu’on appelait jusque-là le “héros”.
Ajoutons qu’il n’est pas le beau et séducteur protagoniste qu’il “devrait” être. Rachel aime Harvey, et non Batman qu’elle considère comme son ami. Elle souhaite d’ailleurs lui avouer dans une lettre. Néanmoins, elle ne lui sera jamais remise par peur de sa réaction : Batman n’est donc plus au premier plan, il ne triomphe ni par l’amour ni par la gloire, il est considéré comme sensible. Par conséquent, le super héros est oublié. Le Joker, censé être le super vilain, le surpasse et intrigue davantage le public.
- Un justicier oui… mais jusqu’où ?
Son incapacité d’arrêter le Joker durant le film le pousse à utiliser des moyens extrêmes voire éthiquement immoraux. Déjà, le plus flagrant : il tue. Ainsi, il se rabaisse à employer la force pour vaincre le “mal”, mais tuer reste tuer. Autre pratique désobligeante, il montre son “magnifique” écran où s’affichent la caméra en direct de tous les téléphones des habitants de Gotham comparable à un outil à la “Big Brother is watching you” ou à la société transparente dans Nous de Zamiatine. Comment un peuple peut-il avoir confiance en un homme qui, non seulement vit en cachant son identité, et qui brise toute leur sphère privée sans leur consentement ? Ainsi, le Joker gagne indirectement, puisqu’il incite Batman à aller outre ses principes. Il est dépassé par le Joker, il le subit et l’histoire n’est donc plus tournée à son avantage.
Conclusion
The Dark Knight renouvelle notre vision du héros et de l’anti héros : la frontière entre eux est moins flagrante, il faut maintenant apporter des nuances demandant ainsi une capacité de réflexion de la part du public. Le protagoniste n’est plus le seul personnage qu’on retient, Christopher Nolan met aussi sous le feu des projecteurs les secondaires. Bien que j’ai cité de nombreux événements du film, je vous encourage à voir ce chef-d’œuvre afin que vous puissiez vous faire votre propre analyse et avis dessus !
N’ayant pas pu parler de tous les personnages ou d’autres scènes, voici quelques références pour les plus curieux d’entre vous (menu déroulant) :
- https://www.artistikrezo.com/cinema/le-joker-un-personnage-complexe-et-passionnant.html
- https://www.youtube.com/watch?v=HG2jIV39Wqg&ab_channel=ErwanHingre
- Pour mieux comprendre l’origine du Joker et approfondir cet aspect de complétude avec Batman :
- Batman: The Killing Joke, Alan Moore
- Batman: White Knight, Sean Murphy
- Si le débat “est-ce réellement immoral de tuer des hors-la-loi ? des criminels ?” vous intéresse :
- Death Note (manga/anime)
- Le Prince, Machiavel (essai)
- Si la question “sommes-nous tous foncièrement méchants ?” vous intrigue :
- https://www.youtube.com/watch?v=EKsOzeKuplk&ab_channel=ARTE
- Sa majesté des mouches, William Golding (roman)
Article très bien écrit bravo !
Merci, Manon, pour cette analyse !
Article bien écrit, documenté et structuré. Il pousse à s’interroger (éminente qualité philosophique !) et ainsi à porter un regard éclairé sur un blockbuster dont la signification et la portée pourraient échapper au premier regard du spectateur. Bravo Manon !
Article très intéressant, bien écrit et structuré, vraiment agréable à lire.
Bravo Manon, continuez comme ça !
Super article Manon
Très bel article. Même les NON fan de super héros ont envie d’aller le voir maintenant.
C’est clair je ne suis pas adepte de ce genre de film mais après lecture j’ai très envie de regarder BATMAN et ce fameux THE DARK NIGHT merci pour votre réflexion et votre partage
J’ai enfin pris le temps d’aller lire cet article très intéressant et bien écrit! Belle analyse qui pousse à la réflexion. Bravo Manon, bel avenir journalistique, philosophique, littéraire devant toi! Enjoy et fière de toi!
MMP
J’ai relu avec beaucoup d’attention ton super article si bien construit,si bien écrit,si bien étayé.
Tu as incontestablement fait un substantiel boulot d’analyse et de réflexion et les louanges que tu reçois sont parfaitement méritées et j’y joins volontiers les miennes.
Reste qu’après relecture,et j’en suis désolé,je ne suis toujours pas un fan du super héros
Très bien rédigé, argument exemple explication, Mme Marnas serait fière, je ne sais pas qui à écrit cette merveille mais waw continue ainsi!