Comment l’expliquer l’ascension de Javier Milei au pouvoir ?

En moyenne, le coût de vie en Argentine est 46% moins important qu’en France, une différence qui se fait bien ressentir à travers le salaire : en Argentine, le salaire minimum est de 200,08 dollars depuis le 1er mars 2024 avec un revenu moyen entre 300 et 400 dollars par mois, d’où le seuil de pauvreté qui atteint les 40 %. L’Argentine présente ainsi une crise du logement : la location d’un studio coûte entre 200 et 300 euros par mois dans la capitale, ce que les étudiants peinent à se permettre. Lorsqu’un français se rend en Argentine, il a l’impression que les prix sont « rentables » car il déjeune dans un bon restaurant pour environ 10 euros, va chez le coiffeur pour la même somme ou va prendre un café pour 3 euros lorsqu’en France, le prix est affiché presque au double. Mais pour les Argentins, ces prix sont exorbitants au vu de leurs salaires. Il est important de garder cet aspect en tête pour comprendre cette élection et de la voir ainsi d’un point de vue argentin et non ethnocentrique.

Crise économique de 2001 : un traumatisme qui perdure

« Il n’y a pas de justice. Il n’y a pas de travail ! Il n’y a pas de plan économique. Il n’y a pas de banques. Il n’y a ni des dollars ni des pesos ! Mais il y a des voleurs. » – ambito.com

La crise de 2001 a été la plus grande crise sociale, économique et politique que l’Argentine ait traversée. Cette année a marqué la fin d’un modèle économique lancé en 1991 avec la convertibilité, comme quoi un peso équivaut à un dollar, qui obligeait l’Argentine à s’endetter pour poursuivre ce projet et qui a fini par laisser le pays et sa population en crise.

En décembre 2001, le Fonds monétaire international (FMI) a coupé les crédits à l’Argentine. Ainsi, pour limiter le retrait massif des dépôts bancaires, le ministre de l’Économie de l’époque (Domingo Cavallo) a instauré un « corralito » (petit enclos) qui limitait les retraits d’argent dans les banques : les Argentins ne pouvaient retirer que 250 pesos (soit environ 250 euros) par semaine. Il y avait de longues queues devant les guichets de retrait automatique des banques avec un fort mécontentement de la part des Argentins : certaines personnes ont perdu ainsi toutes leurs économies et ont dû recourir à la justice pour tenter de se faire rembourser par leurs banques, mais certains n’y sont jamais parvenus. Le 13 décembre 2001, la CGT (Confédération générale du travail) et la CTA (Centre de Travailleurs d’Argentine) ont décrété la grève générale : les manifestations, saccages de supermarchés et coupures de routes se sont multipliés jusqu’au 19 décembre 2001, où une répression violente quant à l’abandon de Fernando de la Rúa au poste présidentiel a eu lieu. Cette répression violente fit 5 morts et 25 blessés lors d’une manifestation à la Plaza de Mayo (la place de mai). Sans compter les quatre présidents qui se sont succédé en onze jours pour remplacer le président.

Les vingt ans qui ont suivi sont une montagne russe de tentatives de reprises et d’occasions manquées. Entre juin 2000 et janvier 2024, le peso argentin a perdu 99,89 % de sa valeur face à l’euro. Alors qu’un euro valait environ 0,95 peso au début des années 2000, le même euro représente aujourd’hui une somme d’environ 900 pesos.

Carte d’inflation de la région – L’Argentine a enregistré en 2022 la seconde plus haute inflation d’Amérique latine derrière le Venezuela

Milei et l’anti-péronisme : qu’est-ce que le péronisme ?

Le péronisme est un mouvement politique fondé dans les années 1940 par le Général Perón (président de l’Argentine de 1946 à 1955 puis de 1973 à 1974). Ce mouvement a influencé l’Histoire de même que la politique argentine : c’est un mouvement qui est caméléon et difficile à définir car il mêle des idéologies de gauche comme de droite. Mais, depuis une vingtaine d’années, le péronisme se réduit au « kirchnérisme », du nom des époux Néstor Kirchner (président de l’Argentine de 2003 à 2007) et Cristina Fernández de Kirchner (présidente de l’Argentine de 2007 à 2015, puis vice-présidente de 2019 à 2023).

Cristina Fernández de Kirchner – France 24

Pour le pays qui souhaite se reconstruire après la crise sociale, politique et économique de 2001, le « kirchnérisme » a été, pendant douze ans, un rebond de cette crise. En effet, l’Argentine traverse une crise économique avec une inflation de 211,4 % et une dévaluation du peso (la monnaie nationale) de plus de 50 %. Cette crise économique se justifie par une mauvaise gouvernance du pays depuis quelques années. Telle que l’affaire en 2016 de l’ancien secrétaire de Travaux publics, José Lopez, du gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner qui a été arrêté alors qu’il tentait de cacher des sacs contenant des millions de dollars dans un monastère près de Buenos Aires. Il y a eu plusieurs autres cas de corruption impliquant la mauvaise gestion des fonds publics, notamment des détournements de fonds destinés à des programmes sociaux, des infrastructures ou des projets de développement. Ces affaires ont mis en lumière les allégations de corruption généralisée au sein du gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner qui a été jugée et condamnée, le mardi 6 décembre 2022, à six ans de prison pour fraude et corruption au préjudice de l’État. Elle a également été condamnée à une inégibilité à vie.

L’un des moteurs électoraux de Javier Milei est l’antipéronisme.

L’inflation en Argentine depuis 2004 – Statista

Il dénonce le dysfonctionnement de l’État : d’un point de vue libéral, le péronisme est une machine à produire de l’inflation. Bien que celle-ci dépasse les lignes politiques, il est vrai que dans la plupart des gouvernements péronistes, l’inflation s’est déclenchée à cause de corruptions. Javier Milei présente le péronisme comme « la colonisation de l’État par un mouvement politique ». Il répond donc à une crise politique en incarnant par un discours antisystème un « ras-le-bol » de la société argentine quant aux vols menés par le « kirchnérisme ». C’est pour cela que les Argentins le suivent, car il les représente, il représente la colère du peuple argentin. Mais pas que les jeunes (16-29 ans), les personnes âgées (+ de 60 ans) aussi, parce qu’elles ont vécu l’inflation à plus de 3 000 % dans les années 1980 pour seulement voir la situation de leurs pays empirer.

La colère a vaincu la peur de l’extrême.

La pauvreté et les conséquences de l’inflation se notent dans la capitale, Buenos Aires : des milliers de sans-abris dorment dans des banques ou des supermarchés, des poubelles sont complètement arrachées ; les trottoirs sont pleins de déchets. Lors de soupes populaires, on y voit des retraités, des familles, des jeunes revenant du travail ; une queue qui fait deux rues. Avec la rentrée scolaire en mars, de nombreuses familles n’ont pas les moyens de s’acheter la quantité de fournitures scolaires que demande l’établissement. 

L’Argentine vit ainsi une profonde crise politique dont le système est vu comme dysfonctionnel : la monnaie est hors de contrôle, tous les services publics dysfonctionnent (santé, éducation, police), l’impact de l’inefficacité des gouvernements précédents etc.

L’électorat de Javier Milei se constitue majoritairement de jeunes : ces jeunes sont nés de l’échec du « kirchnérisme », de l’État qui a largement failli à ses missions pour l’Argentine et qui l’a conduit à cette crise économique continue.  Ainsi, la moitié du peuple argentin ne s’est pas forcément converti à l’extrême droite ; il y a des raisons plus profondes à l’ascension de ce personnage.

Ensuite, il y a des personnes inquiètes par le chômage et le travail qui pensent que la dollarisation est un changement radical. La dollarisation étant l’élément au centre de sa campagne électorale : le président argentin souhaite remplacer le peso par le dollar américain.

Beaucoup de citoyens argentins se sentent abandonnés par un système qui ne favorise que les membres du gouvernement : eux-mêmes le disent, les seuls Argentins « riches » sont les politiciens et les millionnaires. Ils en ont marre de devoir payer pour les services personnels d’un député, par exemple ; « s’il veut un chauffeur, qu’il s’en paye un de sa poche et non de mes impôts ». Par son projet d’élimination des dépenses improductives de l’État, Milei satisfait le peuple argentin, d’où la tronçonneuse.

Sources : Javier Milei élu Président de l’Argentine : massacre à la tronçonneuse ? - (24/11/2023) - Regarder l’émission complète | ARTE. (s. d.). 
ARTE. https://www.arte.tv/fr/videos/117879-002-A/javier-milei-elu-president-de-l-argentinemassacre-a-la-tronconneuse/
Javier Milei élu Président de l’Argentine : massacre à la tronçonneuse ? – ARTE

La tronçonneuse est une image symbolique de sa campagne : il veut en finir avec le système politique en place en Argentine, qui a amené le pays à cette crise actuelle. La tronçonneuse représente ainsi une manière symbolique de couper à l’Etat leurs dépenses inutiles, sachant que la tronçonneuse n’a jamais été allumée, Javier Milei n’est pas extrême à ce point.

Bien que le programme du président argentin soit extrémiste : rejet de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique, opposition au droit à l’IVG, volonté de légaliser la vente d’armes et d’organes, etc. La population argentine demeure très en colère, c’est pour cela qu’ils l’acceptent, ils espèrent que l’extrême sera un changement propice pour eux. Par son côté extrémiste, le président argentin exprime le degré de haine dans lequel la population se trouve quant aux gouvernements précédents. La colère du peuple argentin a donc ici vaincu la peur de l’extrême et ils beaucoup d’espoir à ce que Javier Milei réussisse à faire les changements dont l’Argentine a besoin, en espérant qu’il y parvienne.

Pour aller plus loin (menu déroulant) :

Pour comprendre la politique de Javier Milei : 

« Élection de Javier Milei en Argentine : le choc politique ? », France Culture, Élection de Javier Milei en Argentine : le choc politique ? (radiofrance.fr) « Argentine : la popularité de Javier Milei à l’épreuve du pouvoir », France Culture, Argentine : la popularité de Javier Milei à l’épreuve du pouvoir (radiofrance.fr) « Retour de Chine // Argentine : le projet ultra-libéral de Javier Milei, France Culture, Retour de Chine // Argentine : le projet ultralibéral de Javier Milei (radiofrance.fr)

Pour comprendre la situation en Argentine :

(youtube.com)

  • « Argentine : le pays des occasions manquées » – Le dessous des cartes | ARTE,

Argentine : le pays des occasions manquées Le dessous des cartes | ARTE (youtube.com)

Bienvenue sur Bref.

Inscrivez-vous pour recevoir chaque semaine du contenu génial dans votre boîte de réception.

N'oubliez pas de vérifier vos spams !

Nous ne spammons pas !

5 réflexions au sujet de “Comment l’expliquer l’ascension de Javier Milei au pouvoir ?”

Laisser un commentaire