Européennes : débats d’idées ou débats de personnes ?

Jeudi 2 Mai, la chaîne d’informations en continu, BFM TV (canal 15 de la TNT), dédiait sa soirée à un débat entre Jordan Bardella et Valérie Hayer, eurodéputés sortants et respectivement têtes de liste du Rassemblement National (RN) et de Renaissance pour les élections européennes du 9 Juin prochain. Malgré l’annonce d’un débat au sommet entre les deux candidats en tête des sondages (l’un plus que l’autre), ce rendez-vous avait une nouvelle fois pour but de faire réagir davantage que de faire réfléchir. Au-delà de toute considération politique, puisque cet article n’y a pas vocation, il me semblait important de revenir sur les dérives des rencontres télévisées entre candidats pour une élection ; ces moments qui portent de moins en moins conseil aux citoyens.

Le débat Mitterrand / Giscard-D’Estaing en 1974 – Le Parisien

L’idée même du débat est excellente en soi et ne date pas d’hier. Elle permet en théorie de confronter programmatiquement les idées et propositions de différents candidats en vue d’une élection autour de sujets variés, principalement des préoccupations des électeurs. Bien que nous puissions remonter jusqu’à l’Antiquité pour observer les premiers débats politiques publics, c’est avec l’avènement de la télévision que ceux-ci gagnèrent un nouveau souffle et prirent la forme que nous leur connaissons. Un temps de parole égal, entre trois et cinq thématiques débattues, et une large table autour de laquelle les candidats se font face et où les journalistes se chargent de la médiation : vous connaissez la formule, elle reste inchangée depuis le débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 1974 entre François Mitterrand et Valéry Giscard-D’Estaing. Elle n’a jamais changé hormis lors des présidentielles de 2002. Aux débats présidentiels s’ajoutent ceux des autres élections, aussi bien sur les chaînes locales que nationales, pour les diverses élections primaires, pour les référendums ou encore autour d’une thématique particulière sujette à controverse à un moment donné (comme la réforme des retraites). En somme, nous avons l’embarras du choix !

Mais alors que puis-je reprocher aux débats politiques actuels ? Qu’est-ce qui peut fondamentalement poser problème ? Le débat Hayer-Bardella n’est pas un cas d’école ou une exception à la règle. Au contraire, il représente simplement ce que je peux constater de commun à tous ces débats pour les élections européennes.

Saint Marcellin

Le premier point qu’il me semble important de souligner est celui que représente les deux personnalités politiques choisies pour le débat. Hayer-Bardella, c’est du sensationnel, du sur-mesure pour les gros titres et du pain béni pour galvaniser les militants des deux bords. Là est d’ailleurs justement le problème. Le débat politique doit servir avant tout à éclairer les électeurs confus, ceux dont le bulletin vacille entre l’un ou l’autre des candidats qui, eux, doivent avoir pour objectif de convaincre ces électeurs hésitants de glisser LEUR nom dans l’urne. Dans le cas d’une élection présidentielle, la force des choses oblige à soumettre un débat entre les deux candidats du second tour qu’ils soient ou non aux antipodes idéologiques l’un de l’autre. En revanche, pour une élection européenne à tour unique et à un peu moins d’une dizaine de listes en position potentiellement éligible (selon les sondages), le choix de l’électeur ne se fait pas dans les mêmes circonstances. Il se fait entre deux ou trois candidats de tendances proches aux points programmatiques semblables mais pas identiques. Le débat Hayer-Bardella, c’est celui entre deux mondes qui ne se complètent aucunement. Le programme de la première prône une politique d’ouverture de l’Union Européenne en optant pour une vision mondialisée de l’économie et des peuples.

Le débat Hayer / Bardella – Lejdd

A l’inverse, le programme du second porte sur des domaines à vocations beaucoup plus fermées, avec des renforcements des frontières sur les plans économique mais aussi politique. L’électorat du RN qui s’inscrit dans une volonté de rejet de la politique des libéraux européens (et plus particulièrement de la politique du Président Emmanuel Macron) ne sera jamais séduit par les propositions de Valérie Hayer, et c’est la même chose pour son électorat centriste qui rejette les idéaux de Jordan Bardella. L’électorat de Valérie Hayer, néanmoins, pourrait avoir un bulletin hésitant entre des candidats d’une droite gaulliste de la liste de François-Xavier Bellamy (LR), sur le plan économique, ou d’une gauche social-démocrate et socialiste de la liste de Raphaël Glucksmann (PS-PP), sur le plan sociétal  (qui sont, de plus, au coude-à-coude dans les sondages). A l’inverse, Jordan Bardella peut avoir un socle électoral commun avec d’autres listes conservatrices comme celle de Marion Maréchal (Reconquête) ou bien même, une nouvelle fois, celle de François-Xavier Bellamy en matière de politique migratoire. Quelle que soit la conjoncture, leurs électorats ne se touchent pas et lorsque c’est le cas, c’est pour un autre candidat, et encore, ils le font pour des raisons différentes. Il n’est pas question de dire que ces candidats ne devraient pas débattre entre eux, mais que des débats entre des candidats plus proches idéologiquement auraient davantage de pertinence d’un point de vue électoral.

Les candidats aux élections européennes de juin 2024 – Le Télégramme

L’intérêt d’un débat entre ces deux candidats peut se transposer au débat Glucksmann-Bardella sur France Inter en Avril et aux deux débats Mélenchon-Zemmour sur C8 et BFMTV en vue des élections présidentielles de 2022 qui, eux aussi, représentaient des électorats bien éloignés. L’intérêt pour ces rencontres réside en un aspect : la galvanisation militante. Un tel débat n’aura pour vocation que de motiver les militants déjà plus que convaincus par un candidat à continuer de le soutenir. Pendant la soirée, les tweets de soutien ou de critiques fusent de part et d’autre au même titre que les extraits les plus virulents sont vus sur Tik Tok des millions de fois. On saisit les phrases chocs, les “clash”, et les éléments de langage pour que les militants les partagent sur les réseaux sociaux. Ces débats se détournent de leur cible initiale qu’est ce large public d’abstentionnistes ou d’hésitants, pour se focaliser sur un public de militants. Le résultat est manifeste : 4,9% de parts de d’audience, soit, ironiquement, un résultat inférieur au seuil nécessaire pour obtenir un député européen… Les téléspectateurs de tels débats ne représentent que les militants de chaque camps et les férus de politique. Oser faire un débat entre deux candidats pour lesquels un socle électoral significatif hésite serait oser élever la pertinence de telles rencontres mais aussi susciter l’intérêt de ceux qui hésitent et ne sont pas encore convaincus.

Le débat Mélenchon / Zemmour, fortement relayé sur les réseaux sociaux – Philosophie Magazine

            Le second point qui rend, à mon sens, de tels débats aussi superficiel, est le fond et la manière dont il est abordé. On ne défend pas son programme, on attaque l’adversaire dans n’importe quel domaine et nous faisons fi de l’enjeu même de l’élection : l’Europe. Ces femmes et ces hommes qu’il conviendra d’élire comme députés européens auront pour mission de voter les directions que l’Union prendra pour les 5 prochaines années : pas la France ou, tout du moins, pas seulement la France. C’est une caractéristique commune à tous les candidats, les européennes sont pour eux et pour les médias une marche vers les futures élections présidentielles. Un débat Hayer-Bardella, c’est le schéma Macron-Le Pen des élections présidentielles de 2017 et 2022. Encore, pouvons-nous considérer que ce sont deux têtes de liste. Toutefois, le débat annoncé entre Jordan Bardella et Gabriel Attal pour le 23 Mai, mais aussi la demande formulée par Marine Le Pen à Emmanuel Macron ce dimanche 12 Mai d’avoir un débat pour les futures élections européennes cachent bien mal 2027 derrière 2024. Outre les personnalités, dont nous avons largement assez parlé, les thématiques abordées font elles aussi penser à un troisième tour de 2022. Les attaques de Valérie Hayer sur le passé du passé du Front National d’alors avec son président honoraire Jean-Marie Le Pen, et, à l’inverse, les questions d’ingérence dans le financement de la campagne du camp libéral font encore une fois écho au débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle.

@2022Elections – X

Cette étrange considération de l’enjeu européen pour le 9 juin n’est pas de la seule responsabilité des candidats ; les médias qui fixent les lignes du débats et les militants galvanisés par de tels événements ne sont pas en reste. Je répète que le débat Hayer-Bardella n’est qu’une image de cette situation et que ni BFMTV, ni les deux candidats ne sont seuls responsables de ce constat. Il reste moins d’un mois de campagne et des débats sont encore à venir. Les électeurs peuvent découvrir les candidats dans d’autres conjonctures que les duels dans des débats plus nombreux mais aussi par la lecture des programmes, des interviews et des différentes opérations de communication des partis. Alors, rendez-vous le 9 juin…

Bienvenue sur Bref.

Inscrivez-vous pour recevoir chaque semaine du contenu génial dans votre boîte de réception.

N'oubliez pas de vérifier vos spams !

Nous ne spammons pas !

2 réflexions au sujet de “Européennes : débats d’idées ou débats de personnes ?”

  1. Je suis d’accord avec vous, faire débattre des candidats aussi éloignés politiquement ressemble plus à un match de foot dont les supporters ne vont jamais de camp qu’à une séance d’information pour les indécis.
    Mais alors que s’est-t-il passé de différent en 2002 ?

    Répondre
    • Bonjour, ce qui était différent en 2002, c’est qu’il n’y avait justement pas eu de débat de l’entre-deux-tours. Le second tour opposait Jean-Marie Le Pen au Président sortant, Jacques Chirac, qui refusa de débattre avec le candidat du Front National d’alors. Pour replacer cette situation dans son contexte, il faut comprendre que c’était la première fois que l’extrême droite était au second tour d’une élection présidentielle et qu’un réel élan collectif d’anti-Le-Penisme se mit en place. Tout le monde était persuadé de la présence de Lionel Jospin (PS) au 2nd tour à la place de JMLP et donc beaucoup de manifestations, de rassemblements et de réunions publiques eurent lieu pour protester contre ces résultats qui étaient à rebours des sondages. C’est d’ailleurs cet élan qui permit à J. Chirac de faire son incroyable score de 82%.

      Répondre

Laisser un commentaire