The Platform est un thriller espagnol réalisé par Galder Gaztelu-Urrutia sorti en 2019. Peut-être l’avez-vous vu passer dans votre feed Netflix, voire visionné.
Disclaimer sur la bande annonce : elle contient des scènes qui pourraient choquer les plus sensibles.
Cet article a pour but de faire ressortir des thématiques, des morales, et des enjeux qui impliquent notre société contemporaine. Comme dans mes autres analyses, avoir vu le film au préalable ne change rien à la compréhension. Cependant, je vous préviens, des spoils seront présents.
Résumé
L’histoire se déroule dans une prison verticale où les détenus sont répartis sur plusieurs niveaux, avec une plateforme de nourriture qui descend chaque jour, s’arrêtant quelques minutes à chaque étage. Les prisonniers des niveaux supérieurs mangent en premier, laissant les restes pour ceux situés en dessous. Chaque étage contient deux personnes, ne laissant donc souvent aucune nourriture aux derniers niveaux. Le nombre d’étages est d’au moins 330. Les individus changent de niveau chaque mois, ce qui modifie leur expérience selon qu’ils soient en haut ou en bas.
Au premier abord, nous pourrions penser que ce système est inégal, puisque les premiers groupes ont le choix de manger autant qu’ils le veulent. Néanmoins, les cuisiniers qui préparent le buffet ont bel et bien mis assez de plats pour chacun des membres de la prison. Ainsi, tout le monde pourrait manger à sa faim. Encore faudrait-il que tout le monde fasse l’effort de manger seulement le plat qui lui est destiné.
Une critique de la société de surconsommation ?
Rapide retour historique :
La société de consommation a pris son essor au XXe siècle, débutant notamment durant les Années folles (1920-1929) et après la Seconde Guerre mondiale.
- Les Années folles :
Le crédit à la consommation a joué un rôle clé dans la vente de masse de biens coûteux, comme l’électroménager ou l’automobile. Cette combinaison a boosté la production de masse, incité à l’innovation technologique et favorisé un mode de vie orienté vers la consommation, mais elle a aussi créé une dépendance économique à la croissance continue, contribuant en partie à la crise de 1929. Ajoutons à cela la publicité, qui devient un outil clé de la société de consommation. Elle utilise des techniques modernes (psychologie, slogans, visuels percutants) pour inciter les achats.
- De la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours :
La télévision (années 50) amplifie encore l’impact de la publicité, rendant les messages plus dynamiques et visuels. Avec Internet et les réseaux sociaux, elle s’est adaptée au numérique, devenant personnalisée grâce aux algorithmes et touchant un public global.
Revenons-en au film, les personnes des premiers étages se jettent littéralement sur le buffet pour manger le plus possible, sans véritablement réfléchir à ce qu’ils mangent ou aux 300 autres étages qui ont aussi besoin d’être nourris. De plus, personne n’a besoin de manger plus que son plat, mais pourquoi se retenir ? J’ai la possibilité de me servir et de profiter de l’emplacement de mon étage, et puis de toute façon, les autres auraient fait pareil ! Nous sommes ainsi dans un cercle sans fin, où chacun a peur de se faire abuser par l’autre : l’attitude égoïste prime donc sur la solidarité.
Les sociétés capitalistes sont également marquées par une consommation excessive ou mal répartie. Prenons l’exemple de Shein, géant chinois de la mode ultra-rapide (ultra-fast fashion), où les vêtements achetés à bas prix sont souvent de faible qualité, ce qui les rend jetables après peu d’utilisations. Cette production massive et ce gaspillage contribuent aux décharges surchargées et à une pollution textile qui touche principalement les pays en développement, où ces déchets sont souvent exportés. Ce cycle perpétue l’exploitation des « niveaux inférieurs » sans que les consommateurs des « niveaux supérieurs » prennent conscience de l’impact de leur comportement. Ainsi, les travailleurs des usines de Shein sont les « niveaux inférieurs » du système. Payés de salaires dérisoires et soumis à des conditions de travail souvent inhumaines, ils produisent en masse pour satisfaire la demande des consommateurs des « niveaux supérieurs ». L’environnement est également une victime majeure : l’industrie de la mode rapide est responsable d’une part significative de la pollution mondiale, y compris les émissions de CO₂, la pollution de l’eau par les teintures textiles, et le gaspillage des ressources naturelles.
Par ailleurs, même si la Chine s’oppose au capitalisme et au libéralisme américain, elle alimente une culture de consommation occidentalisée, tout en profitant de ce système.
Inégalités sociales et économiques.
La plateforme symbolise la répartition des richesses dans notre monde. Les niveaux supérieurs représentent les privilégiés qui consomment de manière excessive, sans souci pour les autres. Les niveaux inférieurs incarnent les plus démunis, qui doivent survivre avec des miettes.
Ce mécanisme illustre les inégalités économiques croissantes entre les élites et les classes populaires. Il met en avant les enjeux du gaspillage alimentaire et de la surconsommation dans les pays riches, alors que des millions de personnes souffrent de la faim ailleurs. Par exemple, en France, en 2022, les déchets alimentaires sont composés de 43% de déchets comestibles assimilés à du gaspillage alimentaire.
Dans le film, comme j’ai pu l’expliquer, les personnes d’en haut sont favorisées comparées à celles du bas, peut-être que le lien est exagéré, mais cela ne peut-il pas nous rappeler les inégalités majeures entre les pays du Nord et les pays du Sud ? notamment face à la faim ? Sur l’image ci-dessous, on remarque à quel point ceux du Sud sont davantage touchés par l’insécurité alimentaire. N’est-ce pas aussi lié à une mauvaise répartition des ressources dans le monde ? Pourquoi existe-il une aussi grande différence dans la consommation ? Certains surconsomment, tandis que d’autres n’ont même pas la possibilité de manger…
Une société communiste, la solution ?
Goreng, le protagoniste, tente d’instaurer une forme de solidarité en imposant un partage équitable de la nourriture. Ce concept est proche de l’idéal communiste, où les ressources doivent être réparties selon les besoins de chacun. La lutte de Goreng pour rationner les repas symbolise un effort pour dépasser l’égoïsme inhérent au système en place. De surcroît, les oppresseurs et les opprimés, en changeant d’étage chaque mois, sont interchangeables, mais le système global reste inéquitable et brutal, ce qui appelle à une révolution. Néanmoins, cette révolution est loin d’être évidente : ceux les plus en bas se suicident ou meurent de faim, et les plus chanceux ne cherchent pas à penser à l’après (et donc l’éventuelle possibilité d’être à un étage plus bas au mois prochain) ou alors rattrapent toute la nourriture qu’ils n’ont pas pu consommer auparavant. Ainsi, c’est une boucle sans fin ou la volonté de s’indigner contre le système est une utopie, ou bien alors réalisable sur une courte durée, comme le démontrent les tentatives désespérées de Goreng, ou il doit même utiliser la force pour imposer une forme de solidarité lorsque les détenus supérieurs refusent de partager.
Sommes nous condamnés à ne pas pouvoir agir ?
Même avec un système redistributif idéal, le film montre que les individus peuvent rester égoïstes et violents. Il concentre sa critique sur la nature humaine. Contrairement à ce que pense au début Goreng, la cruauté de la prison est en grande partie due aux hommes, non au système. « Vous êtes de ceux qui croient que tout ce que fait l’Administration est mal« , lui dit d’ailleurs Trimagasi, son voisin de cellule.
Néanmoins, il met en avant, bien que brièvement, la possibilité d’une solidarité collective, même dans des circonstances extrêmes. Goreng et Baharat (personnage d’un étage proche de celui de Goreng) parviennent à convaincre certains détenus de rationner leur consommation, prouvant que le dialogue et la coopération peuvent fonctionner, même à petite échelle. Vers la fin du film, les deux personnages, en descendant sur la plateforme pour imposer à chaque prisonnier de manger seulement leur plat, trouvent à un étage une enfant. En effet, elle représente un futur possible, une innocence non corrompue par le système. Ils souhaitent ainsi la protéger de toute cette violence en décidant de la faire remonter sur la plateforme lorsqu’elle aura atteint le dernier étage. Goreng et Baharat posent la question de savoir si la génération suivante pourrait construire un système plus juste.
Ainsi, ce film nous présente une société sans autorité, sans lois, où l’individu décide de son attitude sans se soucier des autres. Le résultat est que sans prise de conscience d’une nécessité d’une solidarité collective, c’est l’anarchie, l’anomie. Ne met-il donc pas en lumière les enjeux de notre société actuelle ? Nous consommons de façon excessive et inégale les ressources que nous fournit la planète, sans penser à ceux du bas, qui représentent les générations futures…
Pour aller plus loin (menu déroulant) :
- La surconsommation :
Shein : https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/industrie-textile/des-temoignages-recueillis-dans-des-usines-textiles-chinoises-contredisent-les-belles-promesses-de-shein
Films : « American Psycho » de Mary Harron, Fight Club de David Fincher
Livre : Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité d’Aurélien Barrau (écologie),
Vidéos : Vêtements : seconde main et surconsommation | Décod’Actu | Lumni
La consommation durable : un privilège de riches ? | Les questions qui fâchent | ARTE
- L’individualisme :
Film : « The Wolf of Wall Street » de Martin Scorsese
Livre : Marche ou crève de Stephen King
Vidéos : L’identité menace-t-elle le collectif ? | Les Idées Larges | ARTE
Un argument égoïste pour rendre le monde meilleur – L’altruisme égoïste
Très bel article comme d’habitude !
bravo pour l’article ! le film en lui même et l’analyse réalisée sont très intéressants et pertinents 🙂
Très intéressant. Un article qui nous amène à réfléchir aux limites de notre société de consommation et aux conséquences de l’individualisme.
Article trés interessant,comme d’habitude,avec de la profondeur,de la pertinence et surtout une invitation à la réflexion sur les travers de notre socièté
Bravo Manon
J’ai découvert le film au travers de cet article très intéressant. Il nous amène à un questionnement sur la société de consommation et sur la place qui est la nôtre en son sein… comment moi, à titre personnel, je me situe 🤔? Si je suis convaincue d’une nécessaire prise en compte… comment, à mon humble niveau, (à commencer par celui de mon assiette), je peux agir pour une société plus juste c’est à dire plus équitable ?
Merci, Manon, pour les pistes de réflexion que ton article nous inspire.
J’ai bien aimé les parallèles qui sont faits entre le film et le monde réel. Par contre, je trouve que le film la plateforme est mauvais sans parler du deuxième, donc on pourrait croire que l’article est pas ouf non plus, alors que non. Pour résumer, les réflexions qui s’articulent autour du film et l’article en lui meme sont vraiment bien, je trouve juste dommage que son accroche soit ce film.
Un très bon article, qui m’a donné envie de regarder le film d’ailleurs !