Plantons le décor : vous roulez aux États-Unis, la voiture est décapotable donc vous sentez le vent dans vos cheveux, le soir tombe mais il fait chaud, les nuages sont dorés à cause du coucher de soleil. Vous êtes en Californie, en 1976, et le groupe populaire du moment, The Eagles, passe à la radio, avec leur nouveau tube « Hotel California ».
Eagles est un groupe de musique californien, qui a fait ses débuts en 1971, à Los Angeles. Il est composé à l’époque de Glenn Frey, Don Henley, Joe Walsh et Timothy B. Schmitt. Leur style est celui du « West Coast Sound », qui mélange la country et une des ses branches, le bluegrass. « Hotel California » est la chanson d’ouverture de l’album Hotel California, qui s’est vendu à près de 32 millions d’exemplaires dans le monde.
La mélodie est apaisante, les premières strophes semblent agréables… la chanson est sympa à écouter. Pourtant, il y a quelque chose qui vous dérange. Vous ne savez pas quoi, mais quelque chose cloche. Vous aimeriez savoir ce qui se cache derrière ces mots étranges. Et c’est pour ça que je vais me livrer à une analyse de cette chanson, puis vous livrer plusieurs théories à propos de la signification des paroles, et, pour finir, vous révéler le sens donné à ces paroles par le groupe.
Un vernis de perfection
« Sur une sombre route du désert
Un vent frais passe dans mes cheveux
La senteur tiède des colitas
S’élevant dans l’atmosphère
Devant, plus loin
J’aperçus une lumière vacillante
Ma tête devint lourdeet mavue s’obscurcit
Je dus m’arrêter pour la nuit »
L’homme roule de nuit, dans le désert. Cette route ferait possiblement référence à la Route 66, qui reli ait, entre 1926 et 1982, la ville de Chicago dans l’Illinois, à celle de Los Angeles en Californie, d’où, les plus malins l’auront deviné, le titre de la chanson. Dans cette strophe, à première vue, rien d’anormal. L’homme est épuisé et il s’arrête pour dormir. Le cadre est même plutôt agréable, avec la chaleur, l’odeur des fleurs et le vent. Rien de spécial, mise à part que les « colitas » désignent en fait les plants de cannabis. Ou une manière de dire « fesses » en argot hispanique. Vous aurez appris deux trucs aujourd’hui.

« Elle se tenait debout dans l’encadrement de la porte
J’entendis la cloche de l’église
Et je pensais en mon for intérieur
« Ça pourrait être leparadis comme ça pourrait être l’enfer »
Puis elle alluma une chandelle
Et me montra le chemin
Il y avait des voix au fond du couloir
Il me sembla les entendre dire »
Le « elle » on peut supposer que c’est la réceptionniste, puisque c’est elle qui le guide dans l’hôtel.
Par contre, entendre la cloche de l’église c’est déjà étrange, puisqu’il est supposé être sur la route. En plus, la référence à la religion se poursuit quand il dit « Ça pourrait être le paradis comme ça pourrait être l’enfer ». Pourquoi il se met à penser à l’enfer ? Le cadre est pourtant idyllique, c’est logique de le comparer au paradis mais pas forcément à l’enfer. Le narrateur est déjà mal à l’aise.
« Il y avait des voix au fond du couloir » : les gens sont pas très polis et parlent très fort, mais en plus au milieu de la nuit ? Ils devraient dormir ou au moins rester calmes pour les autres clients.
Le verbe « sembla » indique que le narrateur n’est pas au top de sa forme, il est épuisé, c’est le milieu de la nuit et il n’est plus trop sûr de ce qui se passe.
« Bienvenue à l’Hôtel California
Quel endroit délicieux
Quel visage ravissant
Il y a plein de place à l’Hôtel California
Tout au long de l’année
Vous pouvez en trouver ici »

Le refrain donne l’impression que les gens essayent de le rassurer, et de lui dire à quel point l’hôtel est génial. C’est un peu pompeux de qualifier un motel au bord de la route d’ « endroit délicieux » Ǫuoique la version anglaise qualifie l’endroit de « lovely » donc plutôt « appréciable ».
« Ǫuel visage ravissant » soulève une question, c’est-à-dire, à qui ils parlent ? Si c’est au narrateur, à sa place je trouverais un peu suspect qu’un inconnu total me dise que mon visage est ravissant, même si le même mot « lovely » est employé… c’est quand même un peu douteux.
Lorsqu’ils lui disent « il y a plein de place à l’Hotel California, tout au long de l’année vous pouvez en trouver ici », ils veulent absolument lui faire comprendre que l’endroit est sûr mais aussi lui faire comprendre comment il a trouvé une place au milieu de la nuit.
Des résidents particuliers pour un endroit de plus en plus étrange.
“Son esprit estperverti par Tiffany
Elle a a obtenu la Mercedes
Elle a plein de très, très beaux mecs
Qu’elle appelle ses amis
Comme ils dansent dans la cour
Douce sueur estivale
Certains dansent pour se souvenir
D’autres pour oublier »
Tiffany est une marque de joaillerie de luxe, d’origine américaine et très ancienne puisqu’elle a été créée en 1837. Ainsi, lorsque le texte dit qu’elle « a l’esprit perverti par Tiffany », ça veut dire qu’elle pense qu’aux bijoux, d’une manière assez péjorative. La fille est superficielle.
Alors la traduction que j’ai trouvé peut porter à confusion mais quand le texte dit qu’ « elle a plein de très très beaux mecs », ça ne veut pas dire qu’elle sort avec tous ces charmants jeunes hommes, mais qu’elle les connaît, qu’elle les a autour d’elle. Néanmoins, le choix du verbe « got » ou « a obtenu » dans certains contextes peut vouloir exprimer un certain ascendant qu’elle a sur eux, d’autant que ce verbe est aussi utilisé à propos d’une Mercedes. Ça pourrait être une façon de dire qu’elle considère les gens comme des objets, des choses qu’elle pourrait posséder.
Le narrateur dit qu’elle les appelle « ses amis », le verbe « appeler » témoignant d’un certain scepticisme. Le contraste entre les mots de « douce sueur estivale » est interpellant, si la sueur rime effectivement avec l’été, l’odeur n’est pas agréable pour autant. Du coup, c’est une manière de qualifier le moment d’agréable, de dire que la transpiration vaut le coup si c’est pour s’amuser.
« Certains dansent pour se souvenir / D’autres pour oublier » : autant danser pour oublier c’est relativement classique, danser pour se souvenir c’est assez étrange… de quoi veulent-ils se souvenir ?
« Alors j’ai appelé le Capitaine
« Apportez-moi mon vin s’il vous plait »
Il m’a répondu
« Nous n’avons plus cet alcool depuis 1969 »
Et toujours ces voix qui m’appellent de loin
Qui te réveillent au milieu de la nuit
Juste pour les entendre dire »
Il a appelé le capitaine, mais à ce que je sache il n’y a pas de capitaine dans un hôtel. A la limite un maître d’hôtel ou un majordome, pourquoi pas. Et encore, pas dans un motel ou un hôtel au bord d’une route. Mais là, ça sous-entend qu’il est sous l’autorité de quelqu’un, fait inhabituel dans un hôtel, encore plus dans un endroit supposément incroyable. Cerise sur le gâteau, ce capitaine obéit aux ordres.Le capitaine répond « nous n’avons plus cet alcool depuis 1969 », ce qui indique que l’hôtel existe depuis encore plus longtemps que cette date, voire que ce capitaine y travaillait déjà auparavant.
« Et toujours ces voix qui m’appellent de loin » : entendre des gens dans un hôtel, c’est plutôt plausible, et encore, mais que les voix l’appellent, ça c’est étrange. En plus, le narrateur emploie le mot « toujours », comme s’il était déjà venu ou que ça faisait un moment qu’il était là. D’autant que les voix le réveillent « au milieu de la nuit ». Or, il était arrivé tard à l’hôtel, ce qui renforce le sous-entendu qu’il soit là depuis plusieurs jours. Dans ce cas, ça pourrait être des voix à l’extérieur de l’hôtel, ce qui est étrange aussi puisque l’hôtel est toujours au bord d’une route.

« Bienvenue à l’Hôtel California
Quel endroit délicieux
Quel visage ravissant
Ils font la fête à l’Hôtel California
Quelle agréable surprise
Présente tes raisons »
Le refrain se répète d’abord, puis introduit des vers différents :
« Ǫuelle agréable surprise » : outre le fait de ressembler à la réplique d’un méchant dans un film d’action, cette phrase est un peu louche, puisque le narrateur est arrivé au beau milieu de la nuit, et t’as beau adorer ton métier, dans le cas où ça serait un membre du personnel, tu seras pas au top de ta forme et de ton amabilité à cette heure là. Et c’est pas tellement une surprise de voir débarquer quelqu’un dans un hôtel, c’est le concept de l’endroit.
Le refrain continue par « Présente tes raisons », ce qui est pour le coup relativement incongru, en plus d’être malpoli et intrusif. C’est un hôtel au bord d’une route, c’est tout, on y vient pour dormir, il n’y a pas une infinité de possibilités non plus. Et aucun inconnu ne vous demanderait de vous justifier sur le pourquoi vous allez à l’hôtel, membre du personnel ou pas.
La révélation d’un enfer.
« Il y a des miroirs au plafond,
Du champagne rose dans la glace
Et elle dit
« Nous sommes tout simplement des prisonniers ici
De notre propre initiative »
Et dans les chambres des maîtres d’hôtel
Ils se réunirent pour le festin
Ils la piquent avec leurs couteaux d’acier
Mais ils ne peuvent tout simplement pas tuer la bête. »
Le début de la strophe contraste violemment avec le reste de la chanson. Si les « miroirs au plafond » et « le champagne rose » donnent une impression de luxe, et de plaisir, la situation part en vrille quand ça dit « Nous sommes tout simplement des prisonniers ici de notre propre initiative ». L’antithèse entre la notion d’initiative et le fait qu’ils soient prisonniers fait s’interroger, parce que si vous êtes venu quelque part et que vous y restez de votre propre chef, par définition, vous n’êtes pas prisonniers.

Ensuite, pourquoi les clients festoient dans les chambres des maîtres d’hôtel ? On dirait que ce sont eux les gérants et qu’ils sont à la fois victimes et bourreaux, même s’ils doivent tuer une bête. Et là, quel genre de bête ça peut être ? Et pourquoi ce serait à eux de la tuer, d’autant que c’est impossible ? Surtout qu’apparemment, ils doivent la tuer pour manger, comme si c’était leur seule source de nourriture.
« La dernière chose dont je me souviens,
Je courais en direction de la porte
Je devais trouver le chemin du retour vers l’endroit où j’étais avant
« Reste calme » me dit un gardien de nuit
« Nous sommes programmés pour accueillir
Tu peux régler ta note quand tu veux
Mais tu ne pourras jamais partir. » »
Le narrateur dit qu’il ne souvient pas de ce qui s’est passé après cette strophe, ce qui donne une dimension véritablement inquiétante, surtout parce qu’il courait « en direction de la porte », donc il voulait s’enfuir de cet endroit, et non pas simplement prendre l’air, comme s’il avait réalisé que l’hôtel était dangereux.
« Je devais trouver le chemin du retour vers l’endroit où j’étais avant » : le verbe devoir implique une notion d’obligation mais aussi, comme dans le vers précédent, une notion d’urgence. De plus, le narrateur dit « l’endroit où j’étais avant » et pas, par exemple « chez moi » ou « mon ancienne vie », comme s’il ne se souvenait plus de ce fameux endroit.
Le gardien de nuit lui enjoint de rester calme, et ajoute « nous sommes programmés pour accueillir », pour expliquer qu’il n’y a pas d’heure d’entrée et que chacun peut rentrer n’importe quand. Il dit aussi au narrateur « tu peux régler ta note quand tu veux », ce qui assez contradictoire pour un hôtel, puisque le narrateur ne serait donc même pas obligé de payer.
Le dernier vers « Mais tu ne pourras jamais partir » est le point final de la chanson. Il donne une perspective terrifiante d’un ton parfaitement certain, à croire que le gardien est absolument sûr de ce qui va se passer. Ce vers bouleverse toute la chanson, qui donnait un cadre agréable, malgré certains détails alertant celui qui écoute la chanson, d’autant que la mélodie n’est pas du tout angoissante, au contraire.
Conlusion.
En conclusion, on peut faire plusieurs théories quant à la signification des paroles. Par exemple, selon moi, la chanson représente l’addiction à la drogue. On y arrive de notre propre initiative, le plus souvent, et même si la drogue peut procurer des sensations agréables, on ne tarde pas à remarquer des choses dérangeantes, tels que les effets secondaires, alors que ça nous paraissait idyllique au début. De plus, si on peut tomber dedans n’importe quand, il est très compliqué d’en sortir.

D’autres personnes ont émis l’idée selon laquelle le narrateur se trouverait en fait dans une cure de désintoxication de luxe, du genre réservée aux riches, aux personnes célèbres, etc. Ou alors, l’hôtel est en fait un asile pour les stars, qui peuvent avoir craqué à cause la pression, ou seraient devenues folles pour diverses raisons. Cette dernière théorie est la plus proche de la réalité, puisque les membres du groupe ont affirmé que Hotel California illustre en réalité l’industrie de la musique, notamment en Californie, avec l’impossibilité d’en partir, même si le cadre est magnifique, alors qu’il est en fait destructeur.
Bonjour Myriam,
J’aime beaucoup cette chanson que j’ai entendue durant toute ma jeunesse de par mon papa.
Bravo pour cette analyse très intéressante qui me permet également de redécouvrir et de percevoir dorénavant cette chanson mythique très différemment.
Super article!