La danse est une pratique artistique permettant de raconter une histoire. Elle s’inscrirait donc pour certain dans le concept de « l’art pour l’art », selon lequel les œuvres, ici les ballets, apparaissent comme des choses sans autre finalité qu’eux-mêmes.
La guerre froide, quant à elle, est une période suivant la fin de la Seconde Guerre mondiale, marquée par une opposition entre les Etats-Unis et l’URSS dans tous les domaines, sans conflit armé direct. Bien que cette opposition soit d’abord traduite par une dimension diplomatique et militaire, avec par exemple la course à l’armement, la dimension culturelle apparaissant par la suite témoigne d’un véritable affrontement idéologique.
Ainsi, si le ballet ne semble a priori pas lié à la politique, son utilisation dans la guerre froide, a pu rendre compte d’un véritable rapport entre danse et politique, comme en témoignent les répercussions des domaines l’un sur l’autre.
La danse comme forme d’échange.
A la mort de Staline en mars 1953, le ballet soviétique, qui servait déjà de moyen de propagande au sein du régime, connaît une ouverture vers l’Europe. Cet évènement permet donc de mettre en place des tentatives de tournées entre les 2 blocs. Ainsi, les danseurs du bloc de l’Est et du bloc de l’Ouest se rencontrent lors des premières tournées, entraînant des échanges entre les quatre écoles, soviétique, française, britannique et américaine. Le ballet étant un un art transnational, puisque sa langue est le français, il est simple pour les danseurs de partager leurs connaissances.
Ces relations donnent alors aux artistes l’occasion d’en apprendre plus sur les différentes techniques propres à chaque école pour s’améliorer. Les danseurs s’entraident, partagent leur vision du corps et de la danse, et il est fréquent que des danseurs soviétiques retournent en URSS en possession de tutus, collants ou pointes, qui suscitaient un grand intérêt pour eux, offerts par leurs partenaires de l’Ouest.
Ainsi, les artistes apparaissent comme des représentants de leur culture. Ils sont des témoins de la réussite et de la force de leur pays, et rendent compte d’une opposition des blocs à travers l’art et le talent.
La danse à l’épreuve de la diplomatie : l’affaire des ballets soviétiques.
L’ouverture culturelle du bloc Est se concrétise en 1954 : la Comédie française s’envole pour Moscou au printemps, pour jouer des pièces de Molière et de Corneille. C’est ainsi qu’une tournée soviétique, avec des danseurs du Bolchoï et du Kirov, est organisée à Paris en retour.
Néanmoins, si les affrontements entre les deux blocs durant la guerre froide ne sont pas directs entre URSS et Etats-Unis, des conflits éclatent sur de nombreux autres territoires, opposant les deux idéologies. Ainsi, lors de la guerre d’Indochine, au cours de laquelle les troupes de l’Union française affrontent les forces du Viêt Minh, créé par le Parti communiste, les relations qui se veulent diplomatiques entre les blocs sont bouleversées.
En effet, la bataille de Diên Biên Phu se solde le 7 mai 1954, avec une victoire décisive du Viêt Minh. La représentation des danseurs soviétiques à l’Opéra Garnier, qui devait avoir lieu le 8 mai, est alors remise en cause. Le spectacle est donc annulé, puisqu’il apparait impossible sur le moment de permettre aux artistes soviétiques de danser, mettant en avant leur régime, après une défaite française de cette importance. Cette annulation est retenue comme l’affaire des ballets soviétiques. L’Opéra Garnier, qui est au départ un lieu culturel, devient ainsi un vrai symbole politique de l’opposition des blocs.
Rudolf Noureev ou l’échec du contrôle soviétique.
Dès les années 60, avec une ouverture bien établie entre les 2 blocs, des artistes tentent de fuir l’URSS et le KGB, qui exercent une forte pression sur leur communauté. Le cas du danseur Rudolf Noureev est symbolique pour le monde de la danse et représente un véritable « saut vers la liberté ».
En 1961, alors en tournée en Europe avec les danseurs du Kirov, Rudolf Noureev découvre la vie du côté Ouest. Il défie alors l’autorité soviétique pour profiter pleinement de la liberté qu’on lui offre pour ces quelques semaines. Mais son comportement, ses ballades, ses sorties au cabaret et les visites qu’il réalise avec ses nouveaux amis français déplaisent fortement aux « traducteurs » accompagnant les artistes, soit aux agents du KGB.
Le 16 juin, lorsque la troupe se rend à l’aéroport pour poursuivre la tournée à Londres, il apprend qu’il est attendu en urgence à Moscou. Il parvient, avec l’aide d’autres danseurs et de sa partenaire, à s’échapper de l’aéroport et des autorités qui comptaient le remettre au pas de l’Union soviétique. Il signe alors une demande d’asile politique en France, et poursuit sa carrière à l’Ouest. Rudolf Noureev devient même directeur de l’Opéra de Paris en 1983, mais ne sera autorisé à retourner dans son pays qu’en 1987, soit 26 ans après sa fuite.
Sa défection marque non seulement son rejet du bloc Est et du conditionnement de la liberté subi par les artistes en URSS, mais aussi l’échec de la surveillance soviétique au cours des tournées. Rudolf Noureev incarne alors le symbole de la liberté à l’Ouest.
Conclusion.
Ainsi, si le ballet est tout d’abord un art, la guerre froide a démontré qu’il peut prendre une dimension politique, afin de servir le régime d’un pays. Permettant des échanges ainsi qu’une preuve des savoirs faires des deux blocs, la danse a également représenté un outil d’émancipation des artistes d’une idéologie contraignante, avec l’exemple de Rudolf Noureev. De plus, son rôle politique est mis en avant lors des questions diplomatiques, comme durant les évènements de Diên Biên Phu. Finalement, la routinisation des tournées entre les blocs dès 1968 dépolitise le ballet, qui était au départ l’un des témoins des enjeux culturels et politiques entre les deux blocs.